gombrowiczien

Je n’ai, moi, jamais signé de contrat stipulant livraison d’idées absolument inédites. Certaines idées flottant dans l’air que nous respirons ont su se nouer en moi en un sens spécifiquement gombrowiczien, unique et impossible à recréer : et ce sens, je le suis moi-même.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 209.

David Farreny, 21 mars 2002
fonds

En tout cas, il y a eu un temps où j’avais bien vivant dans ma tête un stock passionnel et très simple de matériaux, substance de mon expérience, destiné à être amené par l’expression poétique à une clarté et à une détermination organiques. Et, imperceptiblement mais inévitablement, chacune de mes tentatives se rattachait à ce fonds et, si extravagant que fût le noyau de chaque nouveau poème, jamais il ne me sembla que je m’égarais.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 14.

David Farreny, 24 mai 2003
personne

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 22 oct. 2004
inexistence

La quantité de vide que j’ai accumulée, tout en conservant mon statut d’individu ! Le miracle de n’avoir pas éclaté sous le poids de tant d’inexistence !

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1722.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
peu

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis ?), autour de moi, c’était bien ce « rien » qu’on m’avait promis. Plutôt ce « peu », une frugalité qui me rappelait les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites. Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce « peu » — en nous ou au-dehors — sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
douleur

Mais ce qui rendait l’éventualité d’une attaque inadmissible à mes yeux, c’était la nature même du bruit, des cris que nous avions entendus. Ils n’avaient pas le caractère farouche qui présage une immédiate intention hostile. Si inattendus, sauvages et violents qu’ils eussent été, ils m’avaient donné une impression irrésistible de douleur. L’apparition du vapeur avait pour je ne sais quelle raison rempli ces sauvages d’une peine infinie. Le danger, s’il y en avait un, expliquai-je, résultait plutôt de la proximité où nous étions d’une grande passion déchaînée. L’extrême douleur elle-même peut finir par se résoudre en violence : mais plus généralement elle se traduit par de l’apathie.

Joseph Conrad, Le cœur des ténèbres, Gallimard, pp. 173-174.

David Farreny, 2 oct. 2008
morts

Ceci nous montre bien ce que nous désirions prouver, c’est que l’autre ne saurait être d’abord sans contact avec les morts pour décider ensuite (ou pour que les circonstances décident) qu’il aurait telle ou telle relation avec certains morts particuliers (ceux qu’il a connus de leur vivant, ces « grands morts », etc.). En réalité, la relation aux morts — à tous les morts — est une structure essentielle de la relation fondamentale que nous avons nommée «  être-pour-autrui  ». Dans son surgissement à l’être, le pour-soi doit prendre position par rapport aux morts ; son projet initial les organise en larges masses anonymes ou en individualités distinctes ; et ces masses collectives, comme ces individualités, il détermine leur recul ou leur proximité absolue, il déplie les distances temporelles d’elles à lui en se temporalisant, tout comme il déplie les distances spatiales à partir de ses entours ; en se faisant annoncer par sa fin ce qu’il est, il décide de l’importance propre des collectivités ou des individualités disparues ; tel groupe qui sera strictement anonyme et amorphe pour Pierre, sera spécifié et structuré pour moi ; tel autre purement uniforme pour moi, laissera paraître pour Jean certaines de ses composantes individuelles, Byzance, Rome, Athènes, la deuxième Croisade, la Convention, autant d’immenses nécropoles que je puis voir de loin ou de près, d’une vue cavalière ou détaillée, suivant la position que je prends, que je « suis » — au point qu’il n’est pas impossible — pour peu qu’on l’entende comme il faut — de définir une « personne » par ses morts, c’est-à-dire par les secteurs d’individualisation ou de collectivisation qu’elle a déterminés dans la nécropole, par les routes et les sentiers qu’elle a tracés, par les enseignements qu’elle a décidé de se faire donner, par les «  racines  » qu’elle y a poussées.

Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, p. 600.

David Farreny, 26 avr. 2009
vanné

Voyage conférence.

En habit bleu, vanné, les mains noires d’aluminium dans les petites chiottes des restaurants de province, titubant de fatigue.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 60.

Cécile Carret, 18 juin 2012
double

Double négation, où pourtant rien ne s’annule : quand celui qui écrase ton pied, dans un métro bondé, est de plus un infirme, et l’instrument de son agression, bien entendu, est précisément la patte courte sur laquelle il retombe à chaque pas.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 10.

David Farreny, 29 mars 2013
souriez

Mon ami me fait asseoir devant l’appareil pour me photographier. Ce que je viens d’apprendre grâce lui ne me sert pas à grand-chose à présent. Moi aussi, je lorgne l’objectif, soudain j’ai le trac, car le moment où l’on fixe un instant de notre vie fugitive est tout de même solennel. Je m’efforce de minauder avec naturel. Il m’encourage à être spontané, à me montrer un peu plus jovial. Pour résumer, il s’agit de l’ancien cri de guerre : souriez ! Je dois faire bonne figure à la vie, au monde, à tout ce qui m’entoure. Ce n’est pas facile, mais je vais essayer.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 99.

Cécile Carret, 22 juin 2013
moule

Chaque genre littéraire obéit à des principes qui ont fait leurs preuves et qu’il suffit de suivre, en effet, ou d’appliquer pour produire un récit qui en relève et l’illustre idéalement, tant il est vrai qu’il faut être bien maladroit pour rater une gaufre quand on possède un moule à gaufres. L’écrivain abdique ce faisant une liberté dont il ne savait sans doute comment user pour un confort si plaisant que l’on peut s’étonner de ne jamais voir l’oie pareillement se déplumer les ailes à coups de bec afin de garnir un coussin où reposer sa petite tête stupide.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
durer

L’enfant est une inhibition active. Il empêche le réveil complet, c’est-à-dire la mort de l’espèce. Les théologiens n’osent pas le dire, mais ils voudraient ce réveil total, entraînant le Jugement logique. L’enfant fait durer. Il n’y a pas plus antithéologique que l’enfant. Il est là aussi pour cacher qu’il n’y a pas eu de rapport sexuel. Tout cela est très clair : si je suis avec une femme et que je n’ai pas eu d’enfants, c’est qu’il y a ou qu’il y a eu rapport sexuel. Si j’ai avec elle des enfants, on peut en douter. On peut se dire en tout cas qu’à un certain moment elle a estimé que ça suffisait comme ça. Elle a déclenché le processus de séparation par l’enfant. L’enfant est le divorce in vivo des parents.

Philippe Muray, « 10 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 46.

David Farreny, 28 fév. 2016
oblige

Tendance à la lecture en diagonale. Donc, qu’est-ce qu’un grand écrivain ? Quelqu’un qui m’oblige à lire ligne à ligne et mot à mot. C’est rare.

Philippe Muray, « 20 septembre 1990 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 379.

David Farreny, 29 fév. 2024

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