possession

Peut-on reprendre possession d’une chose ? N’est-ce pas la perdre ?

Franz Kafka, « 9 août 1920 », Lettres à Milena, Gallimard, p. 182.

David Farreny, 23 mars 2002
mais

Pour avoir un peu lapidé les gendarmes, trois dames pieuses d’Hérissart sont mises à l’amende par les juges de Doullens. (Dép. part.)

Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d’escargots.

Au Mans, le soldat Hervé Aurèle, du 117e, a frénétiquement rossé passants et agents. On l’a capturé à grand’peine. (Dép. part.)

Le chanteur Luigi Ognibene a blessé de deux balles, à Caen, Madelon Deveaux, qui ne voulait pas laisser monopoliser sa beauté. (Dép. part.)

Dans le lac d’Annecy, trois jeunes gens nageaient. L’un, Janinetti, disparut. Plongeons des autres. Ils le ramenèrent, mais mort. (Dép. part.)

Des trains ont tué Cosson, à l’Étang-la-Ville ; Gaudon, près de Coulommiers, et l’employé des hypothèques Molle, à Compiègne.

Une dame de Nogent-sur-Seine disparut (1905) en pyrénéant. On la retrouve, dans un ravin, près Luchon, bague au doigt. (Dép. part.)

Ribas marchait à reculons devant le rouleau qui cylindrait une route du Gard. Le rouleau pressa le pied et écrasa l’homme. (Havas.)

Trente-cinq canonniers brestois, qui sous empire de funestes charcuteries, fluaient de toutes parts, ont été drogués hier. (Dép. part.)

Une fois assommé, Bonnafoux, de Jonquières (Vaucluse), a été posé sur un rail, où un train l’écrasa. (Dép. part.)

Pour un parquet belge, on arrête à Vagney (Vosges) Félicie De Doncker, qui excella à mater la fécondité des Brabançonnes. (Dép. part.)

Un bœuf furieux traînait par la longe vers Poissy le cow-boy Bouyoux. Elle cassa. Alors ce bœuf démonta le cycliste Gervet.

Mme S…, de Jaulnay (Vienne), accuse son père de lui avoir détérioré ses trois filles. Le vieillard s’indigne. (Havas.)

Rue Myrrha, le fumiste Guinet tirait au petit bonheur des balles sur les passants. Un inconnu lui planta un stylet dans le dos.

Près de Villebon, Fromond, qui disait à d’autres pauvres sa détresse, s’engouffra soudain dans un four à plâtre en combustion.

Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes (2), Mercure de France, pp. 16-87.

David Farreny, 4 fév. 2009
avaries

C’est le trait terrible dans le vieillissement : il vous donne bientôt la gaîté de cœur qui permet d’accepter comme allant de soi des retranchements sur les sens et sur le cœur, considérés auparavant comme de monstrueuses avaries.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 12.

David Farreny, 5 juil. 2009
pleurer

Les larmes sans arrêt coulaient, les larmes formaient comme une membrane humide sur ses yeux. Elle ne voyait plus personne. Que lui importait qu’on la voie.

Puis les spasmes sont survenus, spasmes des muscles et des nerfs qui lui nouaient la gorge où quelque chose d’âpre raclait, comme si elle avait avalé du vin vieux, quelque chose d’amer, d’insupportable.

Ses compagnons de voyage étaient à même d’observer de près ce phénomène qu’est le fait ancestral de pleurer. D’un souffle, d’un seul, la poitrine se gonflait de façon titanesque, et, prise de mouvements convulsifs la bouche s’ouvrait pour happer l’air. Quelques halètements syncopés, puis après cette suite de brèves contractions venait enfin celle qui libérait la poitrine, et c’était encore douloureux, mais c’était aussi la fin de la douleur.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 32.

Cécile Carret, 4 août 2012
ou

J’avais espéré satisfaire un peu mon amour pour elle en lui donnant mon bouquet, c’était complètement inutile. Cela n’est possible que par la littérature ou le coït. Je n’écris pas cela parce que je l’ignorais, mais parce qu’il est peut-être bon de mettre fréquemment les avertissements par écrit.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 147.

David Farreny, 13 oct. 2012
croire

Il y a une grande différence entre croire encore à quelque chose et y croire de nouveau. Croire encore que la lune influence les plantes appartient à la sottise et à la superstition, mais le croire de nouveau démontre de la philosophie et de la réflexion.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 251.

David Farreny, 17 déc. 2014
moyens

Ma paresse frise la monstruosité ; je suis trop raisonneur pour faire un visionnaire ; aucun dieu n’a jamais daigné me ventriloquer. Autant dire que l’évocation de ces formes de génie, toutes au-dessus de mes moyens, me déprime. Plus démoralisant encore est Aristote. « Les hommes qui furent exceptionnels en philosophie, en politique, en poésie, dans les arts, étaient mélancoliques, dit-il, certains au point de contracter des maladies causées par la bile noire, comme le mythique Héraclès – dont les anciens disaient qu’il souffrait de la “maladie sacrée”, nom donné au mal des épileptiques. » Je partage les maux d’Héraclès. Une sombre toxine circule dans mes artères et, parfois, le haut mal me terrasse. Mais je n’ai pas sa carrure. Mon seul héroïsme consiste à assommer mes démons intérieurs avec la massue de la chimie. C’est entre deux crises, pendant une éclaircie euphorique, que je tente d’écrire. […] Grâce à Montaigne, j’ai perdu tout complexe d’humilité à l’égard des grands auteurs dont, étudiant, je me gardais de relever et de commenter les obscurités, sinon les absurdités. Puisque, disait-il, les maîtres ne font que s’« entregloser », pourquoi s’interdire de reprendre les pages de l’un d’entre eux, ancien ou contemporain, et de griffonner remarques ou objections qui, même éparses et décousues, pourraient devenir à leur tour les éléments d’un essai personnel ? Montaigne confessait aussi que, quand il se hasardait à une méditation, il ne se sentait pas tenu de traiter à fond son sujet ni de n’en pas changer si cela lui plaisait. C’est devenu ma méthode. Du dialogue avec un philosophe, je passe à une conversation avec moi-même. Mon propos me barbe ? Je brise là. Il me tient à cœur ? Je le lâcherai plus tard, dès qu’il me rasera. Montaigne disait : « Je ne suis pas philosophe », ou, à la rigueur, « imprémédité et fortuit ». Sur mes cartes de visite, j’ai fait graver : « Philosophe sans qualités ».

Frédéric Schiffter, « Génie et pharmacie », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer