qui

Ce volcan nu et rouge domine avec deux ou trois autres une vaste cheire tout en bruyères. Mes parents ont délivré là un pauvre chien attaché par un nœud coulant à un arbuste : à peine libéré, il a filé à toutes jambes vers le maître qui probablement avait voulu s’en débarrasser. Nous avons vu, un soir d’hiver, un albinos aux longs cheveux sortir d’un buisson ; il nous a regardés de ses yeux flamboyants et il a disparu dans la nuit. Ces parages étaient jadis déserts. Ils sont maintenant, je le crains, sillonnés de chemins et ponctués de signaux. Qui veut d’une lande balisée ?

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 154.

Guillaume Colnot, 13 mars 2004
enclaves

Le département des Hautes-Pyrénées a deux enclaves dans celui des Pyrénées-Atlantiques. J’ai un goût marqué des enclaves et suis allé religieusement observer, sans y pénétrer, l’enclave espagnole de Llivia, dans les Pyrénées-Orientales, près de Bourg-Madame. Ce goût a certes précédé la métaphore que j’en tire, dont pourtant je ferais volontiers une éthique : introduire dans chaque discours ce qu’il refoule, être dans chaque groupe ce qu’il exclut. Enclave de la nostalgie dans la modernité, puis violemment l’inverse… Les enclaves ne se conçoivent qu’emboîtées.

R.B. se disait à l’arrière-garde de l’avant-garde. Il ne serait pas mal d’être un chevau-léger galopant sans cesse dans les deux sens le long de la colonne en marche, et donnant des nouvelles au passage. Mais y a-t-il une colonne en marche, et vers où ?

Renaud Camus, « vendredi 13 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 504.

David Farreny, 9 août 2005
transparence

Ainsi la métaphore, dès lors qu’elle s’impose en usage, se mue en cliché, en stéréotype qui est la glu de la langue ; le stéréotype colle les mots à leur signification courante dans une expression repliée sur elle-même, il les entrave au point qu’on ne les entend plus, réduits qu’ils sont à la transparence de spectres sonores. Ce mouvement mortifère nie du même coup toute possibilité concrète d’existence dans les représentations collectives autant qu’individuelles de l’émotion particulière que le cliché prétendait exprimer mais qu’il enferme dans cette camisole de l’expression : la transparence des mots qu’il provoque entraîne de facto la transparence de ce qu’ils signifient, et en premier lieu l’émotion, au seul profit de l’ordre collectif, qui raffole des émotions, mais ne les tolère que dirigées et programmées (qu’elles soient religieuses, nationalistes ou médiatiques).

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 19.

Cécile Carret, 26 août 2009
proliférer

On aurait dit que sa féminité se passait aisément de fécondation et qu’il eût suffi d’un arôme un peu masculin, d’une vague odeur de tabac, d’une blague un peu grivoise pour qu’elle se mît aussitôt à proliférer luxurieusement.

Bruno Schulz, « Août », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 5 déc. 2009
manipuler

L’absence dure, il me faut la supporter. Je vais donc la manipuler : transformer la distorsion du temps en va-et-vient, produire du rythme, ouvrir la scène du langage […]. L’absence devient une pratique active, un affairement (qui m’empêche de rien faire d’autre) ; il y a création d’une fiction aux rôles multiples (doutes, reproches, désirs, mélancolies). Cette mise en scène langagière éloigne la mort de l’autre […]. Manipuler l’absence, c’est allonger ce moment, retarder aussi longtemps que possible l’instant ou l’autre pourrait basculer sèchement de l’absence dans la mort.

Roland Barthes, « L’absent », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 22.

Élisabeth Mazeron, 7 déc. 2009
lampe

L’obscurité de la lune invisible. Les nuits à peine un peu moins noires à présent. Le jour le soleil banni tourne autour de la terre comme une mère en deuil tenant une lampe.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 54.

David Farreny, 18 mai 2011
telle

Je préfère ce que dit Céline : quand on est arrivé au bout de tout et que le chagrin lui-même ne répond plus, alors il faut revenir en arrière parmi les autres, n’importe lesquels. Wanda au terme de son périple est assise, un peu tassée, sur une banquette au milieu des autres. L’image se fige, granuleuse, imparfaite. Wanda. Simplement une parmi les autres. Telle, dans le monde ainsi qu’il est.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 149.

Cécile Carret, 16 mars 2012
humour

Je défie quiconque de trouver de l’humour à qui que ce soit très longtemps.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 24 mars 2012
avenir

Ce qui d’ailleurs me manquait surtout était l’aptitude à penser le moins du monde à un avenir concret. Ma réflexion restait attachée aux choses présentes et à leur état présent, non par profondeur d’esprit ou par suite d’un intérêt trop fortement accroché, mais, pour autant que cela ne fût pas dû à la faiblesse de ma réflexion, par tristesse et par peur ; par tristesse, car le présent était si triste à mes yeux que je ne croyais pas avoir le droit de l’abandonner avant qu’il eût pu se résoudre en bonheur ; par peur, car de même que je craignais la moindre démarche dans le présent, de même me tenais-je pour indigne, eu égard à mes manières méprisables et puériles, de juger avec un sentiment grave de ma responsabilité le grand avenir viril qui m’apparaissait du reste impossible la plupart du temps, à tel point que la moindre progression me semblait être un faux, et que le point le plus proche de moi me paraissait inaccessible.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 209-210.

David Farreny, 28 oct. 2012
personnellement

Je vous invite à regarder cet homme comme celui qui connaît personnellement toutes les lisières d’arbres, tous les buissons et tous les poteaux d’Europe.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 167.

Cécile Carret, 22 juin 2013
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
prestige

Si nous comprenions vraiment notre vie, le suicide aurait un prestige tel qu’il nous serait impossible d’y avoir recours.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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