préférez

Parfois on rencontre un immense précipice, mais au-dessus il y a un peu de terre, sur quoi même on bâtit. À Quito, il y a ainsi deux longues quebradas, six mètres de terre superficielle et trente mètres de précipice. Quand il pleut on arrête les tramways et on regarde la terre qui plie. Ça tiendra peut-être encore quelque temps.

Parfois dans une rue, vous entendez un bruit lointain mais net d’eau furieuse ! Vous ne voyez d’abord rien. Vous êtes près d’un petit trou. Machinalement vous prenez un petit caillou et vous le lancez. Il faut, pour entendre le bruit, tellement de secondes que vous préférez partir. Vous vous sentez pris par le dessous, tous vos pas auscultent, vous murmurez en vous d’un ton terne et bête :

Le plancher des vaches… le plancher des vaches…

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 186.

David Farreny, 23 mars 2002
suspendu

En fait, le tableau, aujourd’hui la propriété d’un musée de Sheffield, en Grande-Bretagne, ne représente pas l’exécution mais les suites immédiates de celle-ci. Au pied d’un mur aveugle qui devait borner le jardin du restaurant de la Chartreuse, le supplicié est étendu face contre terre, drapé dans un manteau noir, son chapeau, également noir, ayant roulé à quelques pas. Au-dessus du mur, et à distance, la silhouette du dôme du Val-de-Grâce se détache en gris sombre sur un ciel brunâtre. Tant les habits du mort, civils et assez chic, que l’ambiance de petit jour blafard, l’absence de décorum ou la proximité d’un restaurant à la mode, évoquent plutôt les circonstances d’un duel, et seule la présence, sur la gauche du tableau, d’un groupe de soldats en marche, vus de dos, l’arme à la bretelle, en train de se retirer et sur le point de sortir du champ, suggère que l’État est à l’origine de cet homicide et qu’il s’agit par conséquent d’une exécution capitale.

Les transformations opérées depuis 1815 dans le quartier de l’Observatoire rendent aléatoire, aujourd’hui, la recherche du lieu précis de l’exécution. Il est vraisemblable que ce lieu a disparu, ou du moins qu’il a perdu tout support matériel, et qu’il est désormais suspendu dans les airs au-dessus des quais à ciel ouvert de la station Port-Royal, sur la ligne B du RER.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 20.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
bêtise

La bêtise, c’est ce qui parle trop fort.

Renaud Camus, « Voix basse », Syntaxe ou l’autre dans la langue, P.O.L., p. 206.

David Farreny, 10 déc. 2004
désir

N’empêche : ce qui combat le mieux la fatigue, c’est le désir. Beaucoup de gens, en voyage, répètent qu’ils ne peuvent plus s’intéresser à rien parce qu’ils sont fatigués. Mais à moins qu’il ne s’agisse de vieillards, ou de malades, c’est tout le contraire : ils sont fatigués parce qu’ils ne s’intéressent à rien, ou à peu de chose, ou très modérément, par convention. Un palais de plus, une salle d’un musée, une église supplémentaire, c’est pour eux une épreuve ajoutée, nullement une curiosité nouvelle à satisfaire, un plaisir, l’objet d’un désir. Plus chiche leur intérêt, plus grande leur lassitude.

Renaud Camus, « lundi 27 avril 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 154.

Élisabeth Mazeron, 16 avr. 2005
exprès

Mais voilà. On a un peu l’impression que les hommes le font exprès. Font exprès, et depuis des siècles, d’être malheureux — ou le contraire — pour des raisons qui ne tiennent pas. Et que c’est tant mieux si elles ne tiennent pas. Un peu l’impression qu’ils s’emmènent en bateau parce que, tout compte fait, le jeu ne vaut pas la chandelle. Quel compte, quel jeu, quelle chandelle, c’est ce qu’ils ne disent pas ; qu’ils reculent devant l’évidence de la devinette, pour mieux passer le temps.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, pp. 242-243.

David Farreny, 4 mars 2008
valable

Malheur, pourquoi ne nous vois-je plus en accord ? Malheur ! Pourquoi à trois heures de l’après-midi la lumière dans le chemin creux, le battement des trains sur les rails, ton visage, pourquoi tout cela n’est-il plus l’événement que cela a été ce matin encore, valable jusque dans l’avenir le plus lointain ? Malédiction, pourquoi contrairement à l’image bien connue du vieillissement puis-je moins que jamais fixer, retenir, apprécier les moments de la journée ou de la vie ? Malédiction, pourquoi suis-je donc au vrai sens du terme si distrait ? Malédiction, malheur de malheur.

Peter Handke, « Essai sur la journée réussie », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 155-156.

David Farreny, 31 oct. 2009
crisser

Puis, à ma hauteur, des fleurs de marronniers rouges ; partout aux alentours, sur cent balcons des chaises longues pleines de créatures qui veulent « bronzer » ; d’autres plus âgées, plus sensées, déployaient des parasols géants pour se protéger du soleil de mai brûlant, de la taille de ceux du marché, et avec des coloris à vous faire crisser des yeux : n’étaient donc pas plus sensées ; simplement plus âgées.

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
élastique

riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
ressuscite

Schubert. Quintette pour deux violoncelles. « La musique ressuscite ce qui n’a jamais été. »

Est-ce la première fois qu’on enfonce mot pour mot cette porte ouverte ? Je l’ignore et comme je n’aime pas usurper, je m’offre prudemment des guillemets.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 39.

David Farreny, 8 oct. 2014

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