métriques

Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.

David Farreny, 22 mars 2002
dit

Aurait-il fallu lui parler, à ce garçon mécanique ? Lui dire ce que j’aurais souhaité, qu’il me caresse ici ou là, qu’il m’embrasse et me laisse l’embrasser, qu’il m’offre un moment sans but, dans la pure effusion de la peau, au lieu de me seriner sans parole mais par tous les moyens qu’il fallait que je l’encule dans les plus brefs délais, et qu’il n’y avait pas lieu à tergiversations ? Mais non, parler n’aurait servi à rien. Le comportement sexuel, c’est vraiment la vérité de l’être. Le corps dit dans l’amour ce que l’esprit ne peut entendre, et ce qu’il n’entreverra jamais — pas avant une très profonde révolution culturelle et psychologique qui prendrait des années, si tant est qu’elle ait une chance de survenir.

Renaud Camus, « lundi 16 décembre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 288.

Élisabeth Mazeron, 5 fév. 2004
Création

Nous sommes plongés dans l’aventure de la Création, exploit des plus redoutables, sans « fins morales », et peut-être sans signification ; et quoique l’idée et l’initiative en reviennent à Dieu, nous ne saurions lui en vouloir, tant est grand à nos yeux son prestige de premier coupable. En faisant de nous ses complices, il nous associa à cet immense mouvement de solidarité dans le mal, qui soutient et affermit la confusion universelle.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 28.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
délicat

Les femmes de Namur m’aidèrent à monter dans le fourgon, me recommandèrent au conducteur et me forcèrent d’accepter une couverture de laine. Je m’aperçus qu’elles me traitaient avec une sorte de respect et de déférence : il y a dans la nature du Français quelque chose de supérieur et de délicat que les autres peuples reconnaissent. Les gens du prince de Ligne me déposèrent encore sur le chemin à l’entrée de Bruxelles et refusèrent mon dernier écu.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 358.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
vérins

Beau temps calme, de fin d’été. Il me semble me souvenir de jours semblables, au jardin du Breuil, dans le temps pur, comme étale, des premières années. J’écris toute la matinée, reprends en milieu d’après-midi. J’évoque, très mal, la marche des forêts, la joie sourde, triomphante qu’on éprouve à voir, à toucher les lourds engins de terrassement arrêtés sur la brande. Avec leurs chenilles, leurs roues crantées, leurs vérins au poli de miroir, leurs organes d’acier, ils sont enfin à la hauteur du vieux monde écrasant. C’est à armes égales que l’on affronte enfin, avec eux, l’inclémence des hauteurs, la brande, le rocher. Mais alors on n’a plus de raison de s’y tenir. Elles sont livrées aux arbres, comme à l’origine. Le futur, c’est le passé.

Pierre Bergounioux, « mardi 16 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 461.

David Farreny, 12 déc. 2007
années

Je suis monté là-haut en suivant le Val di Nos ; j’ai traversé les monts Zebio et Colombara, les Granari di Bosco Secco, le mont Palo ; j’ai laissé sur la gauche les monts Forno et Chiesa ; en prenant par les Campi Luzzi, j’ai atteint la Cima delle Saette. C’est un chemin que je connais depuis l’enfance et que j’emprunte quand je vais à la chasse ; mais, aujourd’hui, ce n’est pas pour les coqs de bruyère ou pour les perdrix blanches que je suis monté là-haut : c’est pour ces débris de pipes, ces bouteilles cassées, ces éclats d’os : pour rester un peu avec eux, et essayer de comprendre le problème que je me pose depuis des années : pourquoi la guerre ?

Mario Rigoni Stern, Requiem pour un alpiniste, La Fosse aux Ours, p. 34.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
trancher

Oraliser le poème, le lire en public à voix haute, m’est devenu possible, mais cela n’allait pas de soi, et n’est aucunement devenu une nécessité. Le poème reste d’abord une musique mentale, pour l’oreille interne. La page est sonore et silencieuse à la fois, une sorte de musique d’œil où j’entends parfaitement rythmes et sons. On peut ajouter que lire à voix haute force à trancher entre des propositions que la page laissait simultanément libres. En lisant, j’impose telle connexion de sens, alors que l’écrit me permettait de le laisser flottant. La même question se pose pour la traduction du poème en une autre langue. Si j’écris « la vie / dure », la voix ou le traducteur devra trancher entre verbe et adjectif, alors que l’écrit cumule les deux possibilités. Cette question de l’épaisseur du simple m’intéresse depuis longtemps.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 31.

Cécile Carret, 4 mars 2010
champignon

Un matin, en entrant en classe, nous sommes quelques-uns à découvrir que nos encriers de porcelaine blanche sont brisés autour du petit champignon violet de l’encre gelée.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 20.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
honte

Dans cette maison régnait une agitation continuelle, des portes claquaient toujours quelque part, des couvercles ou des ustensiles tombaient dans la cuisine, ailleurs on traînait un meuble, ou bien ma mère appelait d’une extrémité de la maison où on ne la soupçonnait pas l’instant d’avant, et les gens qui passaient dans l’allée se demandaient d’où ça sortait. C’était une de ces occasions où j’avais honte d’elle et honte d’en avoir honte.

Dans tout ce qu’elle faisait, c’était comme si elle se devançait elle-même, comme si sans cesse une image à laquelle elle voulait absolument satisfaire fuyait devant elle. Elle pédalait trop vite pour arriver à la gare et s’affalait horizontalement tout à travers la place et c’était, croyais-je, moi qu’on regardait. Elle portait trop lourd et ses filets craquaient en plein village et voilà tous les habitants, dos courbé, en train de ramasser des pommes. Il y avait toujours quelqu’un pour voir ou pour entendre. Tout le village savait ce qui se passait chez nous, qu’il fallait garder les fenêtres ouvertes, qu’il fallait toujours respirer à fond et que les jardins étaient faits pour que les enfants y jouent.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 67.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
naît

On nous naît, déjà pas mal, maintenant

« accouche de toi-même mais en silence ! »

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 17.

David Farreny, 28 fév. 2016

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