coalescence

[…] un coupe-poils à pile sans fil en mousse absorbante avec sa ventouse, une caisse à outils pour tout casser comme sans les outils, un microfournil à ondes fulgurantes, une console en kit à monter sans peine en cinquante semaines pour te consoler de la vacuité des emplois du temps, un, deux, trois, ho ! hisse ! commande aux Trois Suisses, chasse tes doutes en écrivant à la Redoute, ouvre le courrier personnalisé de monsieur Leclerc qui t’envoie sympa la photo couleur de son rôti d’porc, arbore-toi, réveille-toi le teint, décore-toi le corps avec des machins succincts qui font super bien, existe, montre que tu résistes, sois le vrai groupie de toi le pianiste, le gai guitariste, le batteriste, mais en moins jazz triste, le Francis Lopez de la supérette où t’achètes ton steak en barquettes, ah ! maman, maman, les docteurs, ils m’ont dit, je devrais pas te le dire à toi, pourquoi j’ai des absences côté coalescence avec l’existence, effet de faille, tas de paille de peu de pathie, atonie, bout de chosité sans nervosité, préjudice de sensibilité, ralenti du libidiné, recroquevillé dans le trou de soi, que de dégâts, que de dégâts […]

Christian Prigent, Une phrase pour ma mère, P.O.L..

David Farreny, 24 fév. 2007
verrait

Bien sûr, tu n’as pas ressenti en voyant Jacques le choc, le battement, l’onde raphaélite, mais il a le mérite de t’aimer. Sur le quai d’en face, il te verrait.

Michel Besnier, La vie de ma femme, Stock, p. 146.

David Farreny, 25 juin 2007
s’abîme

Après la fournaise de la route Salonique-Alexandropolis, le bonheur que c’est de s’asseoir devant une nappe blanche, sur ce petit quai aux pavés lisses et ronds. Pendant un instant, les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s’abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs.

Je pense à ces clameurs lamentables qui dans les civilisations primitives accompagnaient chaque soir la mort de la lumière, et elles me paraissent tout d’un coup si fondées que je me prépare à entendre dans mon dos toute la ville éclater en sanglots.

Mais non. Rien. Ils ont dû s’y faire.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 89.

Cécile Carret, 8 sept. 2007
après

Je ne peux pas raconter cela… cette histoire… parce que je raconte après coup. La flèche, par exemple. Cette flèche… Cette flèche, là, pendant le dîner, n’était pas du tout plus importante que la partie d’échecs de Léon, le journal ou le thé : tout se trouvait à un même niveau, tout concourait à ce même moment, dans une sorte de concert, de bourdonnement d’essaim. Mais aujourd’hui, après coup, je sais que le plus important était cette flèche, donc dans mon récit je la mets au premier plan et, d’une masse de faits indifférenciés, je dégage la configuration du futur.

Comment ne pas raconter après coup ? Ainsi il faudrait penser que rien ne sera jamais exprimé pour de bon, restitué dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de l’instant qui naît ; on se demande pourquoi, sortis du chaos, nous ne pourrons jamais être en contact avec lui : à peine avons-nous regardé que l’ordre naît sous notre regard… et la forme.

Peu importe. Passons.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 41.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
faintly

My Hand delights to trace unusual Things,

And deviates from the known, and common way ;

Nor will in fading Silks compose

Faintly th’ inimitable Rose.

[Ma main s’enchante à suivre des choses singulières,

À s’écarter des voies connues et coutumières,

Et ne veut, en des soieries fanées, former,

Imprécise, l’inimitable rose.]

Anne Finch, comtesse de Winchilsea, « The spleen », Miscellany poems, on several occasions, John Barber, p. 92.

David Farreny, 27 sept. 2008
veux

Je descends de la lande, j’ai vu les digues de dessus et la mer au-delà des digues. J’ai vu en haut de la rue Monte-à-regret les crânes bien farcis de terre, sans le moindre souvenir d’amour, sans le moindre désir de mer. J’ai cru mourir dans la côte, mon corps était un puits où mes yeux voulaient se jeter. Je descends lentement, très lentement, que chaque fleur exhale sa bonté. Les collations sont douces au fond des cafés, je ne comprends rien à rien, je sais qu’on ne peut se faire à la puanteur des images mortes dans l’œil de mouton, je sais aussi que le malheur même est fragile. Je descends vers la ville, je vois l’octroi, je veux aimer.

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine.

David Farreny, 28 déc. 2008
flegme

S’en vont dans la foule dense au masque inquiet, tragique. La foule qui manque de fric.

Une église lourde, séculaire, majestueuse, indifférente, dresse la puissance de ses hautes colonnes, de ses porches noircis de mystère. Étrange témoin placide, à peine touché par les flashes affolés. Tranquillement appesanti dans le flegme des pierres.

Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 51.

Cécile Carret, 18 mars 2010
dépoter

La température était excessive ; déjà de sourds grondements annonçaient l’orage, et les piailleries d’oiseaux avaient dans les tilleuls d’encolérées et batailleuses significations. J’allais, oppressé d’une double lassitude, heurtant les tombes, tandis qu’au passage mes yeux percevaient de plates épitaphes, des attributs niais, des bronzes ridicules.

De temps à autre, quelque forme noire de mère ou d’épouse surgissait, affairée à de menus jardinages, strictement limités à la surface de son mort. Ailleurs, des voisines s’entraidaient, se passant des conseils ou l’arrosoir ; je vis deux vieilles, dont le deuil balayait la poussière, unir ce qui leur restait de forces branlantes pour dépoter un laurier sec.

Si aigus qu’ils fussent, de tels détails ne pouvaient suffire à fausser mes pensées, et je déambulais toujours, au hasard, quand un détour me mit au bord d’une clairière.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 145.

David Farreny, 14 juil. 2010
première

Les grandes promenades dans Paris, je les fais généralement à pied. J’ai parfois recours à l’autobus ou au métro, fusées porteuses qui me placent sur orbite. […] Je me parachute dans des secteurs moins connus pour le plaisir des quelques secondes pendant lesquelles, au sortir de la bouche de métro, complètement désorienté, je ne sais plus où je suis. Cette impression ne dure pas car, en vieux Parisien, je retrouve quand même assez vite mes marques, mais elle est vertigineuse. En montant les escaliers d’une station uniquement choisie pour son nom, parce qu’il ne me disait rien, j’émerge progressivement à la surface de la ville, dans une rue ou un carrefour inconnus à première vue, et c’est comme une nouvelle naissance.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 67.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
attention

Il résiste. Regarde ailleurs.

Par la fenêtre.

Elle aussi.

Il voit s’en aller ce qu’elle voit venir.

Elle voit commencer ce qu’il voit finir.

Ça ne l’avance guère.

Il sent qu’il commence à penser. Il faut faire quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Si. Regarder à droite, mais attention, en prenant le soin de bien fermer les yeux quand tu passeras devant elle.

Il essaie. Tout se passe bien. Il est passé. Il regarde à droite.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 4 mars 2012
pompe

Doigt blessé, bonnets multicolores, combinaison noire, clé argent : la pompe à détails était bel et bien réamorcée.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 20.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
daguée

9 septembre, Simiane. Elle court vers moi sur la route. Le talus du petit bois. La maison des jeunes princesses. Dans sa lettre du 10 : « Je descends à la salle à manger où nous avons fait la sieste hier, pour dire au revoir à tous les témoins. Je joins une feuille qui a vu notre amour… Je t’aime. » — Puissé-je encore aller en elle où je voudrai ; oui, habillée ou nue, la tenir à merci, tandis qu’elle criera, blanche force daguée !

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 81.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013

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