civil

Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.

David Farreny, 20 mars 2002
littérature

J’appelle littérature une suspension de la lecture, le déboulé des mots d’entre les mots, du silence à la fente des syllabes, de la bibliothèque entre les lignes. Sous le trompeur abri du nom, voici le masque de personne. Toute métaphore est pléonasme, en ce sens, puisqu’il n’est de phrase réussie qui ne nous transporte vers d’autres phrases, qui ne s’ouvre sous le poids de notre regard, ne cède sous le pas de notre attention, même flottante, pour nous charrier dans l’air vers tout ce qu’elle n’est pas.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., pp. 17-18.

David Farreny, 22 mars 2002
pelucheux

Au-delà du périphérique, assez loin mais bien visible, une enseigne lumineuse tourne sur elle-même, bleue, au sommet de la tour Pleyel. D’autres enseignes couronnent la plupart des immeubles situés entre le boulevard extérieur et le périphérique. Le long de l’avenue, c’est plutôt le rouge qui domine — le rouge de Bosch ou celui de Firestone —, mais dès que l’on s’engage dans la rue Félix-le-Croisset, sous les acacias d’où émane en saison une sorte de foutre pelucheux, on pénètre temporairement dans un espace plus confiné, baigné par les publicités Samsung, Panasonic ou Daïkin d’une diffuse et sourde lumière bleue. Cet environnement bleu, de concert avec les émulsions de foutre d’acacia, favorise après quelques minutes d’immersion l’apparition de sensations aquatiques.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 50.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
clan

Foule infinie : notre clan.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 321.

David Farreny, 13 avr. 2002
lieux

J’ai peur que le livre de Jourda ne me donne une insomnie, comme tous les écrits qui évoquent précisément des lieux quelconques.

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 157.

David Farreny, 30 juil. 2005
simple

La psychologie des personnages, elle aussi, semble abonder en contradictions, comme chez Proust : de même que dans la Recherche, les appréciations morales sur tel ou tel sont suivies d’exemples qui les contredisent, une même série d’adjectifs peut en receler plusieurs qui semblent tout à fait antagonistes ; mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse là d’un simple souci d’exactitude.

Renaud Camus, « lundi 7 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 499.

David Farreny, 28 sept. 2007
auget

Devant l’étagère à livres. Je m’en sortis un dont la couverture illuminait à peu près convenablement ma face ; dos de cuir vert foncé avec étiquette vert clair : “J.A.E. Schmidt, Manuel de la langue française, 1855”. Je l’ouvris au hasard page 33 : “Auget = petit canal de planche où l’on enferme le saucisson de poudre” – je me pinçai la cuisse pour m’assurer de mon existence : saucisson de poudre ? ? ! ! (et de toute ma vie, cet “auget” je ne l’oublierai plus ; c’est une punition que d’avoir une mémoire en acier trempé !).

Arno Schmidt, « Un météore en été », Histoires, Tristram, p. 84.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
impossible

Dimanche atroce. Hier je reçois une lettre de N. : « Arrive demain… » Pas moyen de lui répondre, sinon par télégramme, et comment écrire un télégramme ? J’ai passé une mauvaise nuit, puis bien obligé d’aller la chercher à la gare, à huit heures. J’avais ma gueule impossible — impossible d’en avoir une autre — et je pensais à toute la journée qu’il faudrait passer. Je l’ai emmenée sur le port, nous avons bu du café, puis les heures avançaient quand même ; restaurant. L’après-midi, je l’ai traînée voir des amis à la Pointe du Leydé. Dès qu’elle me touchait, c’était affreux. Nous sommes revenus à cinq mètres l’un de l’autre, elle pleurant, moi sifflotant. Horrible. Enfin, à six heures, dans ma piaule, j’ai pris mon courage à deux ou trois mains, lui ai certifié que j’étais incapable d’aimer qui que ce soit, sinon n’importe qui, dans la rue, comme ça, et après bien des larmes, elle est repartie passer toute la nuit dans le train. Pauvres êtres que nous sommes.

Georges Perros, « Feuilles mortes », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 279-280.

David Farreny, 27 mars 2012
soue

Bonheur simple (puis-je l’écrire sans superstition ?), cet après-midi, dans la forêt de Liffré, avec Marie jouant dans l’herbe, et Béatrice allongée non loin d’elle. Odeurs puissantes de terre, de genêt, de chênes chauffés par le soleil. Un coucou dans le lointain. Rumeur du vent dans les frondaisons hautes. Rien de plus simple que ces instants. Écrire, en comparaison, c’est se vautrer dans une soue.

Richard Millet, « 20 mai 1997 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 20 avr. 2024

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