littérature

J’appelle littérature une suspension de la lecture, le déboulé des mots d’entre les mots, du silence à la fente des syllabes, de la bibliothèque entre les lignes. Sous le trompeur abri du nom, voici le masque de personne. Toute métaphore est pléonasme, en ce sens, puisqu’il n’est de phrase réussie qui ne nous transporte vers d’autres phrases, qui ne s’ouvre sous le poids de notre regard, ne cède sous le pas de notre attention, même flottante, pour nous charrier dans l’air vers tout ce qu’elle n’est pas.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., pp. 17-18.

David Farreny, 22 mars 2002
solitude

Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.

David Farreny, 19 mai 2002
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
fièvre

Qu’était-ce donc que la vie ? Elle était chaleur, chaleur produite par un phénomène sans substance propre qui conservait la forme ; elle était une fièvre de la matière qui accompagnait le processus de la décomposition et de la recomposition incessantes de molécules d’albumine d’une structure infiniment compliquée et infiniment ingénieuse. Elle était l’être de ce qui en réalité ne peut être, de ce qui oscille en un doux et douloureux suspens sur la limite de l’être, dans ce processus continu et fiévreux de la décomposition et du renouvellement.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 316-317.

David Farreny, 3 juin 2007
malaise

En ce terrible septième jour, personne ne vint me voir. Le malaise posta ses gardes à l’entrée de l’hôpital, dépêcha ses émissaires aux portes de la ville, prévint les uns et les autres que toute tentative d’approche était vaine et qu’il entendait régner sans partage. Il régna donc, dictant ses conditions auxquelles je me soumis sans regimber. Je gisais au fond du lit, souhaitant qu’il s’incarnât, qu’il prît les traits de quelque vieillard cacochyme et grincheux, cassant, qui envahirait ma chambre de ses tics impatients, m’obligeant à caler ma respiration sur la sienne. Cependant c’était un jour sans incarnations, et je dus me contenter d’une grande désorganisation qui me jeta tantôt dans une veille asthénique, tantôt dans un sommeil sans repos, travail épuisant.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 40.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
trop

Elle était bonne et elle croyait en Dieu. Je me rappelle qu’un jour, pour me dire la grandeur de l’Éternel, elle m’expliqua qu’il aimait mêmes les mouches, et chaque mouche en particulier, et elle ajouta J’ai essayé de faire comme Lui pour les mouches, mais je n’ai pas pu, il y en a trop.

Albert Cohen, Ô vous, frères humains, Gallimard, p. 16.

Bilitis Farreny, 22 avr. 2008
vraiment

Vendredi – Tapis d’Orient, paraboles, serviettes de bain, draps à carreaux. Nombreuses les fenêtres sages, mais peu sont vraiment nues.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 20.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
régression

Je sais bien : La fatigue, la nuit, le repos, le silence… Éluard, le passé, l’alexandrin, le nombre. Nous ne pouvons même pas prétendre, à l’instar de Pascal, que le disposition des matières est nouvelle. Dirons-nous que la nouveauté serait un sens encore trop fort, pour aujourd’hui du moins ? Ce n’est pas de nouveauté que nous avons soif, tous les deux, mais de retour en arrière, au contraire, de régression, d’arrêt sur des images heureuses, qui pourtant nous ravagent. Pas d’issue. Le téléphone n’a pas sonné du tout, cette fois. C’est de nouveau la nuit. Deuxième nuit blanche. Continuer, continuer, surtout ne pas laisser la réalité de la douleur s’échapper de ce lacis de mots où nous essayons de l’enserrer, le regret subvertir ce glacis de phrases que nous tâchons d’opposer à son avance, l’humeur noire submerger les paragraphes qui s’éreintent et s’érigent à la contenir. Il suffit de ne pas relâcher un seul instant la maniaque emprise de la ligne, des caractères qu’elle met en bon ordre, de la main qui les accouche. Rester coûte que coûte à la table, puisque le lit ne voudrait de nous, de toute façon, que pour nous tordre et nous tourner et retourner, et nous torturer de questions, lui aussi, de suggestions impraticables, de reconstitutions hallucinées et de ressassements impuissants. Si ce remède de cheval allait être pire que le mal, pourtant ?

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 36-37.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
bon

Ce Scheidman n’est plus fusillable, disait-on souvent chez les aïeules. Il s’est transformé en une espèce d’accordéon à narrats, à quoi bon vouloir encore le déchiqueter avec du plomb ?

Il n’avait plus rien de commun avec ce petit-fils qu’elles avaient condamné à mort, et il leur murmurait des récits qui les charmaient. À quoi bon s’acharner sur ce qui nous charme ? disait-on, sans conclure.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 148.

Cécile Carret, 19 sept. 2010
singularité

La règle d’or : si le petit rien que tu possèdes n’a, en lui-même, rien de particulier, au moins dis-le avec un zeste de singularité.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 264.

David Farreny, 13 janv. 2015

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