prière

Ô créateur de l’univers, je ne manquerai pas, ce matin, de t’offrir l’encens de ma prière enfantine. Quelquefois je l’oublie, et j’ai remarqué que, ces jours-là, je me sens plus heureux qu’à l’ordinaire ; ma poitrine s’épanouit, libre de toute contrainte, et je respire, plus à l’aise, l’air embaumé des champs ; tandis que, lorsque j’accomplis le pénible devoir, ordonné par mes parents, de t’adresser quotidiennement un cantique de louanges, accompagné de l’ennui inséparable que me cause sa laborieuse invention, alors, je suis triste et irrité, le reste de la journée, parce qu’il ne me semble pas logique et naturel de dire ce que je ne pense pas, et je recherche le recul des immenses solitudes.

Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, Robert Laffont, p. 649.

Guillaume Colnot, 2 déc. 2002
ombre

Les absentes sont toujours là. Les grandes absentes sont de jour en jour plus hautes et l’ombre qu’elles portent plus opaque. Ce qui a été perdu a toujours raison.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 150.

David Farreny, 19 déc. 2003
toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
rien

Mais j’en reviens à l’écriture, aux écrivains et aux lecteurs. « Pourquoi écrivez-vous que vous répugnez à taper à la machine ? », demande encore Olivier de Lille, qui ajoute ceci, que je connais bien et que je trouve terrible : « Les lecteurs n’en ont rien à faire. » Qui peut se prononcer pour les lecteurs en général, et surtout sur ce point si mystérieux, ce qu’ils peuvent avoir, ou non, « à faire » de quoi que ce soit ? Le journaliste doit s’en soucier, sans doute, le militant aussi, pas l’écrivain. Si j’assume cette opinion un rien provocante, ce n’est pas en tant qu’écrivain, c’est en tant que lecteur. Barthes déplorait grandement certaine édition élaguée du journal d’Amiel, dont le préfacier se flattait d’avoir retiré, pour faire de la place, tout ce qui concernait le temps qu’il faisait : « Mais moi ça m’intéresse, justement, disait Barthes, de savoir comment était le ciel sur la campagne de Genève, dans l’après-midi du 17 avril 1857 ! »

Renaud Camus, Chroniques achriennes, P.O.L., pp. 162-163.

David Farreny, 26 mars 2005
existence

Des professeurs parlent de la difficulté qu’ils rencontrent à faire leur métier face à des classes dont les effectifs sont à quatre-vingt-dix pour cent composés d’étrangers ou d’enfants d’étrangers — mais bien entendu ces classes-là ne sont sans doute pas, elles, majoritaires…

Contre-épreuve, on voit aussi quelques images de la rentrée des classes en Suède : là-bas tous les enfants ou presque sont de type emphatiquement “suédois” ; tandis qu’il est désormais tout à fait impossible, évidemment, et pour des raisons d’ordre divers, de parler d’enfants de type “français”.

Dommage, c’était un type que j’aimais — pas plus que les autres, d’ailleurs : mais j’aimais son existence.

Renaud Camus, « mercredi 4 septembre 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 412.

David Farreny, 3 juil. 2005
manques

— La beauté ? C’est ce qui me fait défaut, lui dis-je.

— C’est plutôt ce à quoi tu manques.

Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 87.

David Farreny, 5 déc. 2007
réglage

Le vent dans les peupliers, le réglage se fait de l’intérieur.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 77.

David Farreny, 27 juin 2010
écartelé

Si les dimensions du réel et de l’imaginaire peuvent s’ajuster harmonieusement, et se communiquer mutuellement leurs richesses, il arrive aussi que le rêveur se retrouve écartelé entre leurs exigences contradictoires. Une part de sa vie, et non des moindres, nécessite qu’il abandonne sa bienheureuse hébétude, non seulement pour se soumettre à des contraintes qui lui déplaisent, mais aussi parce qu’il peut vouloir son propre bien d’une manière moins immédiate. Il peut par exemple avoir besoin de mobiliser toutes ses forces, en un effort tendu, pour progresser dans un domaine qui l’intéresse, pour intervenir dans la sphère sociale. Pour désigner ces deux temps de l’existence, Bachelard emprunte à Carl Gustav Jung ses notions d’animus et d’anima (chez Jung, l’animus désigne la part masculine du psychisme féminin, et l’anima, la part féminine du psychisme masculin). À l’animus le dynamisme, la socialisation, le temps haché par les horaires ; à l’anima la langueur, la solitude, la durée. Pour tous les hommes, le passage de l’un à l’autre se fait, par la force des choses. Sans cesse, les contingences de la vie quotidienne viennent rappeler au rêveur les exigences de l’animus. Il faut s’arracher de son lit lorsque le réveil sonne, quitter l’habitacle protecteur du train ou de la voiture lorsqu’on est arrivé à destination, s’ébrouer lorsque le médecin apparaît sur le seuil de la salle d’attente, se forcer à cesser de penser à l’être aimé pour se mettre enfin au travail, retourner à l’école, à l’atelier ou au bureau lorsque le week-end ou les vacances, dont on aurait voulu retenir chaque minute et qui nous ont coulé entre les doigts comme du sable, sont terminés…

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 39.

Cécile Carret, 1er mai 2012
quinquagénaire

Un demi-siècle ! me félicite-t-on en assenant une claque magistrale sur mes omoplates rongées par l’ostéoporose. Un peu de respect, voulez-vous, et des prévenances, s’il vous plaît ! Un vieillard de cinquante ans, lit-on quelque part dans Balzac. Lequel Balzac mourut d’épuisement un an après avoir fêté ce sinistre anniversaire. Je me rassure : les temps ont changé. Le quinquagénaire d’aujourd’hui avait trente ans au xixe siècle. Le trentenaire de l’époque avait lui-même dix-huit ans et le garçonnet de dix ans n’était pas né encore. Bien sûr. Mais cela fait beaucoup d’années tout de même. Toutes les femmes pourraient être mes filles. Partout, on me présente des ardoises ; la plupart sont des tuiles ; sans mentir, un toit me dégringole sur la tête.

Il faut l’accepter : le premier tiers de ma vie est maintenant derrière moi.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 79.

Cécile Carret, 9 mars 2014
descente

Depuis le hublot de l’avion, les choses de ce monde te paraissent minuscules, dérisoires. Puis l’appareil amorce sa descente et tu redeviens peu à peu un gros con mesquin.

Éric Chevillard, « jeudi 7 mai 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er juin 2015
religiosité

Religiosité contemporaine monstrueuse. Pourquoi ? Parce que plus personne, à moins d’être fou à lier, ne croit plus à la résurrection des corps ou à la vie éternelle. L’ennui, c’est que ce soit la seule croyance qui ait disparu. Tout le reste est intact, toute la religion est intacte. Or, c’était la seule croyance qui, parce qu’elle était réellement folle, justifiait la folie religieuse.

Philippe Muray, « 13 janvier 1991 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 fév. 2024
cabotins

Par un travail inconscient de déguisement que les contraintes de la civilisation imposent à l’amour-propre, les instincts asociaux comme les inclinations les plus basses s’expriment sous les dehors de conduites morales. On nomme avec candeur « bravoure militaire » le déchaînement de tendances meurtrières, « fidélité conjugale » la peur de tromper son conjoint, « indulgence » une incapacité de se venger, « générosité » un moyen de se faire aimer, « humilité » le désir pusillanime de ne pas susciter la jalousie. Rappelant que « nous avons tous assez de courage pour supporter les maux d’autrui », La Rochefoucauld décèlerait dans l’engagement des bénévoles des Restos du cœur et des compagnons d’Emmaüs, ou dans le sacerdoce infirmier des religieuses du tiers-monde, le besoin de jouir d’un ascendant moral sur les miséreux. Coluche, l’abbé Pierre et mère Teresa lui feraient l’effet de cabotins avides de popularité ayant opté pour les carrières de l’altruisme et de la sainteté.

Frédéric Schiffter, « Le plaisir de rabaisser (Sur La Rochefoucauld) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer