satisfaisant

L’idée d’une maison faite pour que les gens se perdent est peut-être plus étrange que celle d’un homme avec tête de taureau, mais les deux s’ajoutent et l’image du labyrinthe convient à l’image du Minotaure. Il est satisfaisant qu’au centre d’une maison monstrueuse soit un habitant monstrueux.

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 154.

David Farreny, 24 mars 2002
traverses

Des bonnes heures, des joies, nulle trace, en revanche. Elles se sont évanouies avec l’instant qu’elles ont duré. La mémoire est celle des revers et des traverses, des plaies, des larmes, des épreuves où l’on a failli être détruit, se perdre sans retour. Si je dure encore, quel chaudron de sorcière finira par devenir ma cervelle, quelle peine j’aurai à subir le sabbat des démons qui m’escortent et auxquels vont se joindre ceux de demain !

Pierre Bergounioux, « mercredi 10 février 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 669.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
oreilles

Un signe de vieillissement que je remarque depuis assez longtemps : mes oreilles s’agrandissent. L’homme montre, en prenant de l’âge qu’il n’est qu’un âne.

Pierre Drieu La Rochelle, « Journal 1944-1945 : 1er février », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 81.

Élisabeth Mazeron, 20 juin 2009
mauvaise

Chez les hommes, il y a trop peu d’enfance, de créativité, d’authenticité, d’absurdité même ; par contre il y a beaucoup trop de masculinité, de maturité : ils sont plus blets que mûrs. Ils ont l’haleine chargée, ils ont trop bu, trop fumé, c’est l’éternité mauvaise, la soirée a perdu son sens, ça fait longtemps qu’ils auraient dû rentrer chez eux ; mais les hommes restent à table, torse nu, et ils mangent, froide, une patte de poule, on dirait une main humaine : telle est souvent l’image de notre convivialité.

Maxime Ossipov, Ma province, Verdier, p. 38.

David Farreny, 2 juin 2011
malaise

Il suffisait de refuser poliment. Au lieu de quoi j’ai montré mon hésitation, dans laquelle l’homme s’est engouffré. Allez, allez, a-t-il dit. J’ai commencé à comprendre que, lorsqu’il n’étouffait plus, il devenait jovial. J’entends qu’il avait un fond jovial. La femme, elle, avait l’air toujours triste, si bien qu’entre les deux je n’aurais pas su dire ce qui me semblait le pire, de la jovialité ou de la tristesse, sauf qu’en l’occurrence il ne s’agissait pas de choisir, il s’agissait de jovialité et de tristesse, l’une s’inscrivant en contraste avec l’autre, accusant l’autre, la rendant insupportable, sans parler du mélange des deux, évidemment, qui produisait de son côté un effet de malaise, incapable que se trouvait leur interlocuteur de savoir s’il devait s’apitoyer ou sourire, sachant que par ailleurs la jovialité n’a jamais fait, à ma connaissance, sourire personne.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 33.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
rêveur

Le rêveur est de ceux-là, à l’évidence. Il a du mal à se faire accepter, et il faut bien reconnaître qu’il n’y met pas du sien. Sa socialisation est chaotique, douloureuse. S’étant trop attardé dans sa tour d’ivoire, il a manqué beaucoup d’épisodes, et se retrouve éternellement en porte à faux. Son en dedans, il le connaît comme sa poche, mais son en dehors, il peine à l’ajuster à celui des autres. Ses lubies et ses élucubrations embarrassent tout le monde ; il tient des propos d’une grandiloquence déplacée. Le plaisir particulier qu’il prend au simple fait d’être en vie – même s’il donne parfois une impression illusoire de neurasthénie –, l’émerveillement inépuisable que lui procure sa propre capacité à respirer, à aimer, à s’émouvoir, à penser, à créer, et même à souffrir, peuvent facilement le rendre d’une fatuité exténuante, voire d’un effarant égocentrisme, qui peuvent finir par taper sur le système des mieux disposés. Les autres, grâce à lui, se rengorgent, confortés dans leur propre sentiment de sagesse, de rectitude et de conformité. Ils pensent être comme il faut, « dans la vie ». Les imbéciles. Ils ignorent qu’ils avancent à tâtons, que ceux qu’ils croient judicieux de suivre sont aussi perdus qu’eux ; et que le rêveur, lui, comme autrefois la pythie de Delphes, sait.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 23.

Cécile Carret, 1er mai 2012
va

Le temps passe. Nous le croisons. Il va d’un pas pressé répandre nos cendres dans le passé.

Éric Chevillard, « vendredi 18 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
aboli

Une dernière question : Georges Lukács n’a-t-il jamais, au grand jamais, envisagé que, quand la justice sociale sera enfin établie, quand chacun travaillera dans la dignité sans plus être exploité, sera pourvu selon ses besoins, etc., alors, comme l’écrit une adepte de Schopenhauer, Janine Worms, « tout écran aboli devant la catastrophe de notre condition, les “heureux” se battront pour une place à l’asile » ?

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., p. 90.

David Farreny, 9 déc. 2014
rêve

Quand un homme rêve seul, c’est un rêve. Quand ils sont plusieurs à rêver le même rêve, c’est un cauchemar.

Philippe Muray, « 26 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 257.

David Farreny, 27 mai 2015

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