cosmos

Une vie limitée. Locale. On vit de ce que le jour apporte. Personne ne regarde autour de soi, chacun regarde son propre sentier défiler sous ses pieds. Travail. Famille. Gestes. Vivre tant bien que mal… Concrètement.

C’est fatigant et attirant à la fois… Ah, j’aspire tellement à cette limitation ! J’en ai déjà assez du cosmos.

[…] Je prends note de ce désir en moi. Aujourd’hui, à Tandil.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 584-585.

David Farreny, 20 mars 2002
protégé

Il ne concevait pas qu’on puisse étudier autrement qu’à l’étroit, abrité de la respiration énorme de l’espace par des épaisseurs successives de murs, protégé non seulement par le toit des rêves qui agitent sans discontinuer le ciel, mais par un solide glacis de pavés de l’humide et sourde suggestion de la terre.

Pierre Bergounioux, Catherine, Gallimard, p. 37.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
vérifier

On rentre par Bassoues, par Montesquiou, Barran. Qu’importe qu’on ne voie plus très bien les créneaux sur les tours, et les torsions de la flèche, sur le clocher ? On connaît déjà ces petites villes obscures, et les hautes pierres dont elles sont fières. Il ne s’agit que de les vérifier dans la nuit, et de s’en réjouir encore obscurément.

Renaud Camus, « dimanche 3 janvier 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 12.

David Farreny, 1er août 2002
possibles

Résumé de ma vie :

1) les Anglais sont les seuls étrangers possibles,

2) il y a encore des Anglais, mais plus d’Angleterre.

Ceci est le fruit de 70 ans d’expérience anglaise. Amen !

Paul Morand, « 15 mai 1972 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 711.

David Farreny, 5 juin 2009
choisir

Il me semble que je suis heureux ; et cela doit bien signifier, au moins par comparaison, que je le suis (le bonheur n’étant sans doute qu’une impression). Pourtant, si je me réveille la nuit, c’est toujours avec une sourde inquiétude, une mélancolie sans forme, presque une angoisse, mais discrète, lointaine, à peine perceptible, quoique vigilante, et qu’on pourrait choisir de ne pas écouter.

Renaud Camus, « dimanche 30 novembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 504.

David Farreny, 13 avr. 2011
déférence

Souvent, le soir, j’allais passer quelques heures agréables chez [mes petites élèves] ; leurs parents (le fermier et sa femme) me comblaient d’attentions. C’était une joie pour moi d’accepter leur simple hospitalité et de la payer par une considération et un respect scrupuleux pour leurs sentiments, respect auquel on ne les avait peut-être pas toujours accoutumés, et qui les charmait et leur faisait du bien, parce qu’étant ainsi élevés à leurs propres yeux, ils voulaient se rendre dignes de la déférence qu’on leur témoignait.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
approche

Des lapins mystérieux qui filent en fusée dans les taillis brumeux annoncent l’approche du soir et la forêt allemande.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 41.

Cécile Carret, 18 juin 2012
glorieux

Tandis qu’il lisait, une voix lui cria : « Pane ». Un gamin des rues loqueteux, crasseux, se tenait devant sa table, un môme de quatre ans, pieds nus, et désignait la corbeille à pâtisseries d’un air fort résolu. Esti lui donna un petit pain. Mais le garçonnet ne s’en alla pas. « Un altro », cria-t-il à nouveau. « Che cosa ? » demanda Esti. « Un altro pane, dit le garçon, due », et il montra, levant deux doigts en l’air, comme c’était l’usage ici, qu’il n’en voulait pas un, mais deux – per la mamma – et elle aussi, il la montra, sa maman qui se tenait à quelques pas de lui sur la chaussée comme sur une scène, démonstrative et émouvante, comme dans un mélo à vous tirer des larmes, et pourtant sublime. C’était une maman toute jeune, malmenée par la vie, pieds nus elle aussi, en chemise, sans corsage ; elle n’avait qu’une jupe crasseuse qui flottait sur elle, elle était dépeignée, et son teint était olivâtre comme on en voit dans les Abruzzes. Ses yeux sombres flamboyaient. Elle et son marmot, bien droits et sans se courber, observaient ce que le straniero allait faire. Esti tendit au garçonnet un autre petit pain. Celui-ci s’en alla plus loin avec sa mère, sa mamma, qu’il devait tellement aimer. Aucun des deux ne le remercia de sa gentillesse.

Cela plut indiciblement à Esti. Voilà, se dit-il, ceux-là ne mendient pas, ceux-là exigent. C’est un peuple ancien et libre, glorieux même dans sa misère. Il est toujours assis à la table de sa vie. Il sait que la vie est à lui, et le pain aussi. Il faudrait que je reste longtemps ici. Cette sensibilité, cette sincérité, ce soleil radieux qui illumine tout, cette forme légère derrière laquelle peut se cacher un fond insoupçonné, m’intriguent. Les liens du sang ne peuvent pas être aussi forts que mon attirance pour ces gens. Il n’y a qu’eux qui puissent me guérir de ma sensiblerie fumeuse.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 74.

Cécile Carret, 27 août 2012
muet

Au fait, est-ce que tu as vu hier à la télévision le reportage sur les personnes seules ?

La femme : « Je ne me souviens que du moment où l’interviewer a dit à quelqu’un : “Racontez donc une histoire de solitude !” et l’autre est resté muet. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 40.

Cécile Carret, 26 juin 2013
tranquille

                            J’étais en train

                            de lire un livre

                            quand tout à coup

                            je vis ma vitre

emplir son œil absent d’oiseaux légers et ivres.

                            Oui, il neigeait.

                            La folle neige !

                            Elle tombait

                            tranquille et fraîche

dans le cœur tout troué comme un filet de pêche.

                            C’était si bon !

                            et j’étais ivre

                            de ces flocons

                            heureux de vivre

que ma main, oublieuse, laissa tomber le livre !

                            En ai-je vu

                            neiger la neige

                            dans le cœur nu !

                            Ah ! Dieu que n’ai-je

su garder dans mon cœur un peu de cette neige !

                            Toujours en train

                            de lire un livre !

                            Toujours en train

                            d’écrire un livre !

Et tout à coup la neige tranquille dans ma vitre !

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 225.

David Farreny, 2 juil. 2013
fillette

Et voilà l’horreur de notre condition : la moitié de l’humanité restera à jamais ignorante de l’état de fillette (c’est tourner le dos au paysage, c’est mâcher les feuilles de l’ananas, c’est ouvrir ses sens sous la terre), et l’autre moitié ne sait s’y accrocher durablement, s’y établir. Aussi bien et en tout état de cause, n’avons-nous rien de mieux à faire de notre vie que concevoir et enfanter des fillettes ; à défaut de pouvoir en être, pour les uns, le rester pour les autres, il n’y a d’autre justification, d’autre mérite, d’autre sens à trouver – tout le reste, misères et balivernes, perte de temps, foutaises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 107.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
syntaxe

Car chaque journée est un rêve incohérent qui ne se tient que grâce à la syntaxe.

Éric Chevillard, « mercredi 4 mai 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 mai 2016

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