pays

Ah fromage voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame au lait

Elle est du bon lait du pays qui l’a fait

Le pays qui l’a fait était de son village

Ah village voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame fromage

Elle est du pays du bon lait qui l’a fait

Celui qui l’a fait était de sa madame

Ah fromage voilà du bon pays

Voilà du bon pays au lait

Il est du bon lait qui l’a fait du fromage

Le lait qui l’a fait était de sa madame

Benjamin Péret, « Le grand jeu », Œuvres complètes (1), Éric Losfeld, p. 71.

Guillaume Colnot, 27 mars 2003
comment

Je conduis Jean à la séance de judo, tire Paul de la crèche, reviens au gymnase, plie du linge, prépare le dîner, surveille les petits. Comment acquérir de nouvelles lumières, plus de raison ?

Pierre Bergounioux, « jeudi 5 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 203.

David Farreny, 14 mars 2006
eau

Le voilà mort. Tout le monde connaît la suite. On sait ce qu’il voulut, et ce qui fut fait. Un fleuve coulait là, épais, noir, dans les fonds aux forêts tombées, le Busentin : trois jours toute la Scythie éplorée, furibonde, avec des pelles, des glaives, à pleins boucliers, creusa un bief parallèle au fleuve, dans des nuées de moustiques ; toute cette armée de boue, de langues mêlées, s’enlisa jusqu’aux cuisses, dans ses casques cornus à bout de bras porta de la terre morte, brisa des chênes comme elle l’avait fait des colonnes dans les temples, et de même qu’en brisant des temples chanta des psaumes, pour un grand cadavre qui attendait, la face tournée vers les nuages ; cette armée pour qui rien de ténu ne chanterait plus, mais qui peut-être accomplissait, définitif, son plus haut fait d’armes. Et quand toute l’eau se fut en maugréant engouffrée dans le bief, quand le lit franc du fleuve fut à sec, dans cette boue où des carpes crevaient, où des racines spectrales étaient pour la première et dernière fois surprises par le jour, toute la Scythie descendit là-dedans, pataugeante, geignante et pathétique comme les légions de Germanie ressuscitées retourneraient à leurs tourbières, toute la Scythie fit encore un grand trou, y précipita les trophées pris à Rome, les dieux et les petits objets familiers qui furent chers aux Sabins, à Carthage, aux Grecs, le labarum sous quoi marchait Constantin, sept siècles de victoire, et par là-dessus enfin jeta comme un sac d’or et de pelisse le roi qui s’enfonça doucement dans de gros remous, et, ventre à l’air, disparut soudain sous les carpes. Alors, avec des psaumes accrus comme pour l’assaut final, à grands coups de glaive ou à pleines mains, la Scythie exultante rompit les digues du bief, et toute l’eau du monde, tumultueuse, sourde, passa tout naturellement sur le corps d’un principicule scythe qui avait marché dans Rome en avant des Césars. Sur cette rive je chantai, une fois pour toutes.

Pierre Michon, L’empereur d’Occident, Fata Morgana, p. 45.

David Farreny, 27 fév. 2007
lieu

La difficulté, que je pouvais pressentir, mais qui a surgi d’un coup avec une force renversante, poignante, c’est le sentiment de solitude absolue. J’ai beau me raisonner, me rappeler tous les propos que j’ai pu tenir aux uns et aux autres sur le plaisir réel que j’éprouvais à me sentir seul, je dois bien me rendre à l’évidence du mouvement de panique qui m’a traversé le corps, lundi soir, quand j’ai compris que je n’avais plus de lieu auquel me raccrocher, que j’avais rompu les amarres et ne pouvais en parler à personne, que je dérivais au hasard, balloté par des courants inconnus, entre livres d’occasion et objets perdus. La perte du lieu, c’est comme la perte d’un autre, du dernier autre, du fantôme qui vous accueille chez vous lorsque vous rentrez seul. Mardi et mercredi, j’ai eu des comportements erratiques. Mardi, j’ai couru place Saint-Sulpice voir les anciens collègues.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
mesurer

Aujourd’hui, mon point de vue a changé pas seulement parce que j’ai connu ce plaisir et que je ne me sens pas prêt à y renoncer (cet aveu me coûte), mais parce que j’ai appris à mesurer le temps qui passe à l’aune de la vie sexuelle. Je me suis mis – depuis mon veuvage – à compter les jours et les nuits moins en terme de temps chronologique écoulé ou révolu, qu’en fonction des rencontres ou des satisfactions de cet ordre. Non, ce n’est pas cela, c’est même exactement le contraire : je compte le temps des jours comme perdu, irrémédiablement perdu, quand il s’est écoulé sans émotion sensuelle. Sans émotion, sans contact, pas sans satisfaction : dans les périodes où j’ai recherché des satisfactions solitaires, il m’a semblé que le temps écoulé en était d’autant plus perdu ou gâché. Comme si l’émotion de la rencontre – une partenaire qui la veut bien, qui l’a souhaitée, quelle qu’ait été la nature de la réalisation – changeait la nature du temps qui passe, maintenait le contact avec la vie, avec la réalité même.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 64.

Cécile Carret, 13 mars 2011
début

En buvant au soleil, je regardais couler le flot des passants sur la place Charles ; des jeunes, rien que des jeunes, des étudiants ; tous ils étaient marqués au front d’une étoile, signe de l’embryon du génie que chaque être porte en lui au début de sa vie ; leur regard irradiait la force, cette force qui jaillissait de moi avant que mon chef ne me dise que j’étais un crétin. Je suis appuyé contre la rambarde, les tramways circulent, ils descendent dans un sens et remontent dans l’autre, leurs bandes rouges me font du bien.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 109.

Cécile Carret, 13 juin 2011
couler

L’homme que j’aimais m’avait reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il m’a dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre si follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser – difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ?

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 50.

Cécile Carret, 16 mars 2012
techniques

Elles ont songé à écrire un livre sur les techniques de rencontre : Julie avait parlé à un type devant la balance des fruits et légumes dans un Sainsbury’s. Elle cherchait l’icône des carottes. Un type l’avait aidée ; tout de suite, ça avait été des galanteries. La scène n’avait pas duré, cependant elle gardait l’idée de rencontrer un type à la balance, de faire semblant de chercher l’image d’un fruit.

Elles auraient classé les rencontres par lieux. Que faire dans tel lieu ? Par âges. Par saisons.

Évidemment, Julie avait raconté sa pratique du croche-patte.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 289.

Cécile Carret, 19 mars 2014
rustique

Les voitures que l’on entend de loin avant d’être ébloui par l’éclat du soleil sur leur pare-brise grimpent la côte, puis redescendent. La rumeur, les reprises, la grimace des moteurs, la vitesse et le vent qu’elles déplacent rendent le silence qui les suit plus rustique.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 5.

David Farreny, 20 juil. 2014
fourrure

En face, dans ce qui semble être une île inhabitée, une végétation rêche et hirsute, une broussaille courtaude de plantes rudérales vient battre la base remblayée des talus de ciment. Plutôt que de regarder ce fleuve — non, ce plan d’eau — mort et souillé, cette végétation de rebut qui sert de fourrure miteuse au béton (la société des plantes, grâce à l’homme, est maintenant dotée aussi de ses bidonvilles) rentrons à l’hôtel et couchons-nous. Et même pas de sommeil bien ivre sur la grève : le Rhône n’en a plus, tout comme il n’a plus d’autre mugissement que la double chaîne sans fin de véhicules de ses deux rives.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 16-17.

David Farreny, 18 oct. 2014

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