On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.
William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.
On peut étouffer le désir, plus ou moins ; mais la vie n’est plus alors qu’un champ morne, une lassitude plate, un marais que la fatigue investit tout entier.
Renaud Camus, « lundi 27 avril 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 155.
On a les heures du matin et celles de l’après-midi pour aller à sa guise sous le ciel tout proche, d’un bleu cru, acide. On est lavé par la lumière qui pleut des détails importuns, des tristesses tenaces et des menus tracas qu’on apporte de la vie d’en bas, des creux habités, comme les brindilles et les pailles, les bardanes qui restent aux vêtements des courses dans la campagne. Le monde est vaste, le couchant glorieux, la paix infinie et, soudain, quelque chose, quelqu’un est là, qui retient son souffle. On circulait librement parmi les vivants étais des arbres qui supportent le dôme du ciel, dans les chambres tendues de brocart qui sentent la résine. On s’est dit, comme Augustin, au soir de la fête étrange, dans le domaine mystérieux, qu’on était attendu, que cette demeure était la nôtre et l’on n’est plus, maintenant, qu’un intrus.
Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 52.
Je suis abstrait et ne saurais pour le moment régler ma vie.
Vincent van Gogh, « Arles, avril 1889 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 485.
Ce processus de la propagation du genre débouche dans la mauvaise infinité du progrès. Le genre se conserve seulement moyennant la disparition des individus qui, dans le processus de l’accouplement, ont rempli leur destination, et, pour autant qu’ils n’en ont pas de plus haute, vont, par là, à la mort.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le rapport des sexes », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 325.
Il épouse la fille pour sa dot puis la mère pour l’héritage. Il s’éclaire la nuit avec les yeux des chats dont les peaux cousues couvrent son dos voûté sur l’ouvrage. Il n’est rien de sacré pour Dino Egger que le but absolu qu’il s’est fixé. Sa main plonge dans la sébile de l’aveugle – il a faim.
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 95.
150. Choses magnifiques
[…]
Le paravent dont les peintures représentent les paysages de la « Description originale de la terre ». Il a un nom auquel j’aime à penser.
Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 293.
— Chut, dit Esti, désignant du menton la porte barrée par une armoire.
Derrière celle-ci habitaient les maîtresses de céans, deux dames d’un certain âge, les locataires : ennemies des sous-locataires et de la littérature.
Tous deux s’assombrirent. Ils regardèrent l’armoire et y virent la réalité, qui toujours les désemparait.
Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 90.
Très vite, le premier tour est bouclé et, dès lors, on ne fera plus que suivre ses propres traces.
Éric Chevillard, « dimanche 17 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗