cadavre

Quant à ceux qui se permettent de parler de moi sur un ton ennuyeux, pédant, doctrinal, ils se voient cruellement punis : leur bouche béante, je la remplis jusqu’à ras bord de mon cadavre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 164.

David Farreny, 20 mars 2002
maisons

Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.

David Farreny, 19 mai 2002
registre

Le vrai fou est celui qui se fait à lui-même toutes les objections de la raison et s’en accommode à merveille, comme si elles relevaient d’un autre registre de l’existence.

Renaud Camus, « samedi 1er février 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 68.

David Farreny, 30 avr. 2006
pardi

Que ferait-on si l’on ne devait

exister qu’à ses propres yeux

rien pardi

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 35.

David Farreny, 16 juin 2006
en

Il en tombe. On ne les revoit plus. Il en reste. Il en reste énormément.

Les nouveaux venus. La nouvelle agitation. La nouvelle explication. Nouveaux maléfices.

Criant, ils s’accrochent, ils s’accrochent. Tous, à tout prix, au moins une fois paraître à la terrasse.

À peine sachant lire, déjà empereurs. Des troupeaux d’empereurs.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.

David Farreny, 7 août 2006
lyophilisée

À ce moment, Nayadja Aghatourane m’interpella. Comme elle avait fêté son bicentenaire seulement vingt-sept ans auparavant, c’était la plus jeune des tireuses d’élite.

— Resurgir plus tard dans leurs rêves, étais-je en train de dire.

Elle se redressa, elle décroquevilla sous la lune sa forme jusque-là blottie dans les touffes de ginseng et de boudargane. Je vis émerger en haut d’un monticule son misérable manteau de marmotte, dont, à contre-obscurité, il n’était guère possible de détailler les nombreux rapiéçages et les enjolivures vermillon et les slogans magiques en ouïgour, et j’aperçus sa tête minuscule, comme lyophilisée par la vieillesse, cette petite masse de cuir granuleux et chauve dont la partie inférieure reflétait les étoiles quand des mots s’en échappaient, car elle était renforcée par un dentier de fer.

Une affection spéciale me liait à Nayadja Aghatourane. Je n’avais pas oublié que, lors de ma gestation dans la maison de retraite, quand j’étais caché, imparfaitement conçu, sous le lit de telle ou telle des vieilles comploteuses, elle avait été l’unique grand-mère de la bande à songer qu’il fallait répéter en ma direction des contes pour enfants plutôt que seulement les classiques du marxisme.

— Scheidmann, cria-t-elle, qu’est-ce que c’est que ces narrats étranges avec quoi tu nous embobines ? Pourquoi étranges ?… Pourquoi sont-ils étranges ?

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 95.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
voient

La femme dit : « Faisons encore une photo avant de nous en aller. » Sur l’image on la voyait tout d’en bas, baissant le regard, sur fond de ciel ; avec à peine la pointe des sapins. La femme s’écria comme effrayée : « Alors, c’est ainsi que les enfants voient les adultes ! »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 96.

Cécile Carret, 30 juin 2013
que

Que va faire ce petit chemin dans la forêt ?

Éric Chevillard, « dimanche 16 mars 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 19 mars 2014
épistolomanie

Voilà comment j’ai contracté cette étrange maladie qu’on pourrait appeler épistolomanie. C’était il y a deux ans, quand la vodka suscitait de longues et soudaines files d’attente, et qu’on nous rendait la monnaie en timbres-poste. […] Que pouvait bien faire un homme vivant à l’écart des autres, loin de tous, avec des timbres ? Ces petits rectangles dentelés et collants destinés à ceux qui communiquent, rapprochent leurs cœurs, se collent les uns contre les autres. J’avais accumulé une bonne quantité de timbres. Ils étaient mis de côté, à l’écart, au bout de la table. Et ils voulaient travailler, être compris. Je ne sais trop comment – j’étais à moitié saoul – j’ai séparé leurs dentelures et j’ai décidé (nous autres, les ivrognes, nous ne sommes pas de mauvaises gens) de faire plaisir à un timbre.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 14.

Cécile Carret, 6 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer