toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
égards

Entre l’exigence d’être clair et la tentation d’être obscur, impossible de décider laquelle mérite le plus d’égards.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1720.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
masque

— Vous vous détruisez en vivant ainsi, en ayant honte de paraître ce que vous n’avez pas honte d’être. Vous confirmez par votre attitude tous les préjugés des autres à votre égard. […] Aucune considération ne doit vous dissuader de jeter vos masques, ni professionnelle, ni sociale, ni familiale ; et même pas celle, la plus insidieuse, du chagrin que vous pouvez causer ; car ce chagrin, si réel qu’il soit, est un chantage, et il découle d’une idée fausse, d’une erreur morale, et il ne saurait être mis en balance avec votre droit à être vous-mêmes (mais je tournerais mon discours autrement, bien sûr ; et tâcherais d’éviter toutes les vulgarités de langage et niaiseries de tournures, s’assumer, être soi-même, qui pointent gaiement dès que s’exprime la conviction. Être soi-même ! Mais au moins doit-on pouvoir choisir son masque).

Renaud Camus, « jeudi 5 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 417.

Élisabeth Mazeron, 17 déc. 2005
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
routes

Mais enfin, d’une manière générale, j’aurais tendance à appeler vivre décemment disposer de tout ça qui est nécessaire pour n’avoir pas à se soucier du nécessaire : un toit, un peu d’amour, deux ou trois repas par jour, des livres et le goût des livres, la télévision puisque vous y tenez, de la musique, que sais-je, le loisir de prendre la porte de temps en temps, et la route, les routes.

Et le loisir tout court, évidemment, fût-il loisir de travailler ; mais à condition que le travail soit un loisir, pas une triviale obligation d’entrailles.

Ce qui est fâcheux c’est qu’un seul mot, le travail, se mêle de désigner deux types d’activités qui peuvent se ressembler comme deux gouttes d’eau, c’est vrai, de l’extérieur, mais qui à la vérité sont par essence complètement différentes : le travail obligatoire, en somme, celui de la vieille malédiction, celui que l’homme doit fournir, depuis la chute, pour gagner sa vie ; et le travail choisi, élu, le travail pour soi-même, sur soi-même, étude, bricolage, gymnastique, exercice perpétuel, le travail qu’il décide d’effectuer pour dépenser sa vie, au contraire, pour user au mieux de son capital de temps, pour s’acquérir de l’être, toujours plus d’être.

Renaud Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, P.O.L., p. 30.

Cécile Carret, 27 mars 2007
cercueil

J’ai rasé ce matin la barbe que je portais depuis l’Iran : le visage qui se cachait dessous a pratiquement disparu. Il est vide, poncé comme un galet, un peu écorné sur les bords. Je n’y perçois justement que cette usure, une pointe d’étonnement, une question qu’il me pose avec une politesse hallucinée et dont je ne suis pas certain de saisir le sens. Un pas vers le moins est un pas vers le mieux. Combien d’années encore pour avoir tout à fait raison de ce moi qui fait obstacle à tout ? Ulysse ne croyait pas si bien dire quand il mettait les mains en cornet pour hurler au Cyclope qu’il s’appelait « Personne ». On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. On s’en va loin des alibis ou des malédictions natales, et dans chaque ballot crasseux coltiné dans des salles d’attente archibondées, sur de petits quais de gare atterrants de chaleur et de misère, ce qu’on voit passer c’est son propre cercueil. Sans ce détachement et cette transparence, comment espérer faire voir ce qu’on a vu ? Devenir reflet, écho, courant d’air, invité muet au petit bout de la table avant de piper mot.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
îlots

Outre la liberté toute physique d’aller, le fer dispensait un autre bienfait, d’ordre spirituel. Il instaurait, là où on l’avait employé, des îlots d’ordre et de mesure, de paix. La double hyperbole d’un pont de fil, la perspective rectiligne et plane des rails, le miroir de l’eau apaisée, derrière l’écluse, suspendaient, localement, la confusion ambiante, repoussaient l’échevellement des sources, la foison hirsute des bois, l’enchevêtrement de tout, l’obstacle, l’empêchement. Et ces formes pures étaient animées de la ténacité inflexible du fer. Elles résistaient à la poussée de l’eau, supportaient le passage des convois ferroviaires galopant vers l’ailleurs, essuyaient, sans faiblir, le chaud et le froid, la pluie, les jours et les nuits. Leur égalité, leur persévérance dans un être net se communiquaient à qui s’accoudait au garde-corps du bief ou s’accrochait à une suspente du pont, comme aux drisses d’une mâture, avec l’eau fuyant dessous, l’illusion légèrement enivrante, baudelairienne, qu’une frégate l’emportait par l’océan des terres.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, pp. 34-35.

David Farreny, 2 juin 2008
regarde

Tout en l’écoutant me répondre, je l’ai observé, poser des questions est le meilleur moyen pour ça, me disais-je, parce que pendant ce temps-là les gens ne se doutent de rien, ils pensent qu’on les écoute et pas du tout, on les regarde, le visage, surtout, la bouche en mouvement, les expressions, l’allure […].

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 138.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
hop

Il tourne à gauche, sans accélérer, inutile d’accélérer, il aperçoit déjà le ralentisseur.

Boum, hop, boum.

Les organes en souffrent, y compris ceux de l’homme, descente, collapsus anal.

Pour éviter ça il faut freiner juste avant d’aborder la bosse, les amortisseurs s’écrasent, puis relâcher le frein, les amortisseurs se détendent, la voiture boit l’obstacle. Un pli à prendre.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 25.

Cécile Carret, 2 mars 2012
oublier

Il y a pire que la chute. C’est la mauvaise pente. Ces traînées de mots qui traversent notre steppe intérieure, excluant tout autre langage, extinction totale des feux. Il va falloir les oublier, mais c’est impossible. Ineffaçable. On ne pourra plus jamais éviter cette ornière, il faudra passer par là.

Georges Perros, « Chutes de lecture », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 152-153.

David Farreny, 27 mars 2012
cour

Peu de plaisir, davantage d’obligations, encore plus d’ennui, encore plus d’insomnies, encore plus de maux de tête — voilà comme je vis et maintenant j’ai juste dix minutes de calme pour regarder la pluie tomber dans la cour de l’hôtel.

Franz Kafka, « lettre à Felix Weltsch (10 septembre 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 715.

David Farreny, 1er mai 2014
vérité

— Ne me ménagez pas, dites-moi la vérité.

— Vous ne pouvez pas l’entendre, vous êtes trop orgueilleux pour accepter une vérité qui ne blesse ni ne loue.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 119.

David Farreny, 30 juin 2014
verse

Cet après-midi entamé Trézeaux d’Henri Thomas, des poèmes qui ne paient pas de mine, mais que j’envisage d’ores et déjà très bien :

Je songe, je tergiverse,

Je vois la to-ta-li-té,

Et puis je verse

D’un seul côté.

Philippe Louche, Psychogéographie indoor (103). 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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