Voilà bien la vie calme, placide, de l’Antiquité, sans crainte et sans larmes. Un tombeau ancien : jamais un emblème de pleurs.
Ce sont des amours, des scènes mythologiques sur le sarcophage, n’ayant aucun rapport avec la personne (histoire d’Achille, les Amazones, etc.). La mort était chose si simple, quand elle venait naturellement.
Quand on mourait jeune, alors cela paraissait anormal, et on plaignait. « Il s’endormit plein de jours. »
Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 37.
Lorsque au soleil couchant les rivières sont roses
Et qu’un pâle rayon court sur les champs de blé,
Un conseil d’être heureux semble sortir des choses
Et monter vers nos cœurs troublés.
Un conseil de goûter le charme d’être au monde
Cependant qu’on est jeune et que le soir est beau,
Car nous nous en allons comme s’en va cette onde,
Elle à la mer, nous au tombeau.
Langre accélérait sur la rocade, gonflé par les rayons du jour qui déclinait comme des forces. […] Langre roulait. Langre doublait, Langre tapotait parfois le klaxon qui poussait un cri de poule artificielle.
Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 99.
On aurait dit que sa féminité se passait aisément de fécondation et qu’il eût suffi d’un arôme un peu masculin, d’une vague odeur de tabac, d’une blague un peu grivoise pour qu’elle se mît aussitôt à proliférer luxurieusement.
Bruno Schulz, « Août », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 45.
Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
Guy Debord, « La séparation achevée », La société du spectacle, Gallimard, p. 15.
Être l’amant d’une fille de ferme, d’une petite serveuse de café, d’une ouvrière, qui rentre le soir vannée. On lui a préparé son repas. On la caresse doucement. On l’aime. Est-ce impossible ?
Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 58.
Entre deux inspections de cet empire, il revenait volontiers profiter du confort de son trône : un panier installé au bout de ce vestibule carrelé qu’il n’abordait pourtant jamais sans une espèce de méfiance, marquant au seuil un temps d’arrêt, comme s’il n’avait pas tout de suite reconnu le cœur même de son domaine, et s’assurait qu’aucune mauvaise surprise ne l’y attendait.
C’était que malgré son habitude de la conformation du carrelage, et à cause d’elle sans doute, il restait à chaque fois décontenancé par l’instabilité paradoxale qu’elle offrait à ses yeux comme aux miens.
L’assemblage régulier de losanges de trois teintes différentes composait en effet une sorte de kaléidoscope fixe d’où, vues en perspective et en relief, sortaient presque simultanément ou s’engendrant les unes les autres, les faces antérieures de trois cubes distincts, bien propres à susciter la prudence d’un chat.
[…]
Ainsi ai-je mieux compris la perplexité des chats au seuil du vestibule : il leur fallait d’abord prendre la mesure de l’illusion que le carrelage systématique leur présentait, eux qui s’accommodent si souplement d’une succession de vrais creux et de vraies bosses.
Pour moi, je m’arrêtais souvent devant ces cubes durant de longues minutes, hypnotisé par cette transformation d’une forme fondamentale abstraite, presque absente, en volumes théoriques surgis de leur immobilité.
Car sous l’alternance des cubes, j’observais le jeu d’une loi qui veut que tout ce qui apparaît simultanément disparaisse pour réapparaître aussitôt ou, pour mieux dire, tire son apparition de sa disparition concomitante.
Le chat pendant ce temps ronronnait.
Jacques Réda, « Autres écarts expérimentaux », « Théodore Balmoral » n° 71, printemps-été 2013, pp. 66-67.
Ce n’est que bien des décennies après que nous pouvons garantir que le nom de l’auteur n’ôtera pas son prestige à la citation.
Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 46.