empalés

Ces bouffons lamentables et ces polichinelles humanitaires (il paraît qu’avant même d’expédier Kouchner au Kosovo, on a envoyé des clowns dans les camps de réfugiés ; et ce qui est invraisemblable c’est qu’ils n’aient pas été empalés dès leur arrivée) envahissent comme de juste l’espace malade du nouveau monde, seul et dernier théâtre où ils ont encore une petite chance, avec leurs gaudrioles morbides, de déchaîner le rire jaune des têtes de mort ; et de voir des squelettes se tenir les côtes. Si tu ne viens pas aux rigolos, les rigolos viendront à toi ; même sous perfusion.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 448.

David Farreny, 20 mars 2002
éboulis

Septembre en fait des tonnes. C’est une éruption de bleu pur sur un canal, une apothéose de lumière que criblent les grands platanes penchés sur l’eau. C’est de tout côté éboulis de douceur, débauche d’harmonie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 92.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
actes

Lorsqu’après avoir passé le Mohawk, j’entrai dans des bois qui n’avaient jamais été abattus, je fus pris d’une sorte d’ivresse d’indépendance : j’allais d’arbre en arbre, à gauche, à droite, me disant : « Ici plus de chemins, plus de villes, plus de monarchie, plus de république, plus de présidents, plus de rois, plus d’hommes. » Et, pour essayer si j’étais rétabli dans mes droits originels, je me livrais à des actes de volonté qui faisaient enrager mon guide, lequel, dans son âme, me croyait fou.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 246.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
dialoguer

— Mais pourquoi tu es agressif comme ça ? me répond-on. J’accumule les maladresses, je serais un fâcheux pédagogue. Je participe mal aux conversations de chez nous, surtout intellectuelles ou qui l’imitent (parce qu’en plus ça s’imite : la grenouille qui se fait crapaud, la peste qui devient vérole). Toute chose que je dis devant quelqu’un se met aussitôt en orbite autour de son nombril et, pour me répondre, c’est à cette gravitation que mon interlocuteur réagit. Il ne conçoit pas la chose que je nomme, serait-ce un pauvre hareng saur : il contemple seulement le paysage de lui-même que crée la nouvelle lune que j’ai lancée. Et, selon la lumière qu’elle donne à son nombril, il approuve, critique, retouche ou, le plus souvent, élimine : la lune tombe. Son nombril est triste, je ne sais pas dialoguer.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 61.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
chaleur

Nous y mettions les poussins nouvellement éclos, nous les soulevions dans nos mains tels des pétales jaunes et les placions dans cette chaleur, boules duveteuses à pattes qui bougeaient sans cesse, absorbaient cette tiédeur. La chaleur nous maintient en vie. Parfois, les boules jaunes remuantes s’écroulaient, vaincues par le froid du dehors, leurs pattes pointées vers le sol pareilles à des flèches orange. La main de mon père les jetait comme des mauvaises herbes. Celle de ma mère les ramassait avec douceur ; cherchant un signe de vie dans ces petits corps jaunes, en pure perte, elle disait « mes pauvres poussins », et me souriait tandis qu’elle les lâchait sur le toboggan.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 87.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
sauvé

Il n’en est pas de même pour mon compagnon de cellule, c’est un homme inflexible, un ancien capitaine. Je peux parfaitement me représenter sa disposition d’esprit. Il pense que sa situation ressemble à peu près à celle d’un explorateur polaire qui est pris sans espoir quelque part dans les glaces, mais qui sera certainement sauvé, ou plus exactement, qui est déjà sauvé, comme on l’apprend en relisant l’histoire des expéditions polaires. Et il s’ensuit le dilemme suivant : le fait qu’il sera sauvé est pour lui indubitablement indépendant de sa volonté, il sera sauvé tout simplement par le poids de sa personnalité triomphante, mais doit-il le désirer ? Qu’il souhaite ou non quelque chose, cela ne changera rien, il sera sauvé, mais reste à savoir s’il doit encore le souhaiter. C’est de cette question en apparence tellement étrangère au fond qu’il s’occupe, il la médite, il me l’expose, nous en discutons. Il ne comprend pas que cette manière de poser le problème scelle définitivement son destin.

Franz Kafka, « Pour dire la vérité… », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 608-609.

David Farreny, 21 déc. 2011
vieillissement

Le vieillissement des oncles, leur lent au-revoir.

Ce lent effacement des visages glorieux, cette longue distillation du changement dans les traits.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 109.

Cécile Carret, 25 sept. 2013
frais

Pour manger frais ton pain rassis, fais un petit effort de mémoire.

Éric Chevillard, « mercredi 17 décembre 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 déc. 2014

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