mobiles

Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.

David Farreny, 11 sept. 2004
affirmations

Tout le charme de ce genre de doute réside dans un paradoxe bizarre, qui fait qu’un individu ne croyant à rien préconise néanmoins des attitudes, des convictions, des idées, se prononce sur toutes les questions, lutte contre ses adversaires, adhère à un mouvement politique.

Des affirmations sans système jaillissent soudain, pareilles à des explosions, à des incandescences isolées, d’un éclat aveuglant.

Emil Cioran, « Une étrange forme de scepticisme », Solitude et destin, Gallimard, pp. 201-202.

David Farreny, 24 juin 2005
écart

Nous avons déjeuné à Montesquieu-Volvestre, assez médiocrement, dans une pizzeria où l’hôtesse était très aimable ; et qui me faisait penser, par son insignifiance tranquille, par son être-là buté, pétri d’absence et de défaut (février, Montesquieu-Volvestre, l’écart, le bout d’une rue secondaire, presque les confins), par sa creuse intensité d’existence, soutenue par rien (un effet de soleil pâle sur deux ou trois feuilles caoutchouteuses, peut-être, à travers le carreau, dans un minuscule jardin intérieur), à certains lieux qui sont décrits, à peine décrits, tout juste touchés en passant par le regard distrait de la phrase, dans les Conversations en Sicile — ce livre est décidément inoubliable : si le chef-d’œuvre s’éprouve au nombre de retours sur lui de la rêverie, en voilà un dont le statut ne fait aucun doute.

Renaud Camus, « mercredi 13 février 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, pp. 22-23.

David Farreny, 3 juil. 2005
intervalles

Dans cet état d’illusion et de ténèbres, nous voudrions changer la nature même de notre âme ; elle ne nous a été donnée que pour connaître, nous ne voudrions l’employer qu’à sentir ; si nous pouvions étouffer en entier sa lumière, nous n’en regretterions pas la perte, nous envierions volontiers le sort des insensés : comme ce n’est plus que par intervalles que nous sommes raisonnables, et que ces intervalles de raison nous sont à charge et se passent en reproches secrets, nous voudrions les supprimer ; ainsi marchant toujours d’illusions en illusions, nous cherchons volontairement à nous perdre de vue pour arriver bientôt à ne nous plus connaître, et finir par nous oublier.

Buffon, « De l’homme », Histoire naturelle, Gallimard, p. 127.

David Farreny, 23 janv. 2006
pas

Quand il se mettait aux fenêtres il voyait les falaises et les murs du château, derrière il devinait le fleuve et le soleil sur les sables clairs, il pensait à tous les pays traversés pour venir jusqu’ici, il pensait à ce qu’il ne voyait plus, tout s’étrécissait, et le goût, l’amour, s’en allaient. L’acuité des choses. Il se disait qu’il n’était pas malheureux.

Michèle Desbordes, La demande, Verdier, p. 70.

David Farreny, 9 janv. 2008
morveux

La matinée est bien avancée lorsque je peux m’asseoir enfin à la table de travail, obéir à l’injonction impérieuse que m’adresse, du fond du temps, le morveux de dix-sept ans qui découvrit qu’il était permis d’être un peu fixé sur ce qui se passe alors qu’il avait abandonné toute espérance à ce sujet. Je suis un instant à surmonter l’effroi qui m’empoigne chaque fois que je me retrouve au pied de la muraille puis je trace un mot, un autre et continue petitement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 13 avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 299.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
précédents

L’histoire, sur laquelle notre début de siècle s’est tellement appuyé pour vivre et penser, ne servira bientôt plus de rien, tant ce qu’on va voir (basé sur la technique et non plus sur l’horreur) aura de moins en moins de précédents.

Paul Morand, « 15 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 731.

David Farreny, 23 sept. 2010
dilatoires

Donc, n’importe où. N’importe où, c’eût été parfait. Dino Egger pouvait naître n’importe où – je me retiens de dresser la liste des lieux qui entrent dans cette catégorie – Aalter, Aarau, Aarschot, Aartselaar, Aba, Abadan, Abakan, Abbeville… –, on me soupçonnerait d’élaborer des stratégies dilatoires pour ne pas reprendre sérieusement mon enquête. Dino Egger pouvait naître n’importe où – Abdère, Abeokuta, Aberdeen, Abidjan, Abitibi, Abkhasie, Ablon-sur-Seine… –, nous n’aurions pas tardé à en être informés partout, aussi bien à Zwickau qu’à Zwijndrecht ou Zwolle.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
rames

Nombre de librairies, dans l’espoir de survivre à la crise, ouvrent un rayon papeterie, stratégie suicidaire, me semble-t-il, puisque tous ces carnets, ces cahiers et ces rames de feuilles leur reviendront bientôt sous la forme de livres invendables.

Éric Chevillard, « lundi 7 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 juil. 2014

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