imposteur

Depuis le temps qu’il le cultive, c’est un sujet qu’il pourrait traiter les yeux fermés, la tête en bas, et en commençant par la fin. Sa propre dextérité, en la matière, l’agace un peu, même. Elle lui donne parfois, paradoxalement, le sentiment d’être un imposteur. Non pas un imposteur par défaut : un imposteur par excès.

Renaud Camus, Voyageur en automne, P.O.L., p. 14.

David Farreny, 21 déc. 2004
courage

Le plus dur est toujours la peine qu’on cause. Il faut la voir aussi, hélas, comme le chantage le plus cruel, et se souvenir qu’elle n’a d’autre origine que l’erreur ou le préjugé. La vérité c’est qu’il est vain, dans quelque situation qu’on soit, d’espérer faire l’économie d’un moment de courage.

Renaud Camus, « mercredi 21 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 266.

David Farreny, 30 juil. 2005
secret

Depuis quand en va-t-il ainsi ? Depuis toujours ? Je ne sais rien de tout cela, qu’une simple amicale conversation pourrait éclairer en un tournemain ; mais précisément, tout est enveloppé de secret, de mystère, je n’ose pas poser de questions, nous nous sommes embourbés depuis des années dans tout un marais de pudeurs, de prudences, de discrétions sans cause qui empêchent entre nous toute intimité véritable. Je déteste le secret, qui me semble au monde ce qu’il y a de plus vain, de plus contraire en tout cas à la confiante étroitesse du commerce entre les êtres.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 324.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
veille

L’atmosphère ressemblait à une haleine, pour un peu on aurait cru voir le crépuscule, dans la même lumière inchangée depuis toujours ; ce fut la tombée de la nuit sur le rivage sans terre et les reflets sans provenance. La nuit bord à bord avec le niveau de la mer. Car tout cela finit par s’imposer sans être jamais prouvé ; le phénomène se déroule et personne ne consacre des heures de veille à l’étudier, ce qui serait bien vain — mais l’espérance d’un résultat précis, d’une preuve rongée et dissoute déjà…

François Rosset, L’archipel, Michalon, pp. 46-47.

David Farreny, 12 mars 2008
rire

Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, oh, Yélé ! Le feu l’a grillé, le gros Ézuzum, le feu l’a tué, le gros Ézuzum, le feu l’a mangé, le gros Ézuzum. Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, ho ! Yélé ho ! Le feu l’a mangé, kri kri kri, celui qui voulait nous manger ! Où est son grand couteau, l’eau et la marmite. Ah ! Ah ! Ah ! Nous allons rire. Merci Ngemanduma. Nous allons rire.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., p. 113.

David Farreny, 21 mai 2009
autre

Derrière les arbres est un autre monde,

le fleuve me porte les plaintes,

le fleuve me porte les rêves,

le fleuve se tait, quand le soir dans les forêts

je rêve du Nord…

Derrière les arbres est un autre monde,

que mon père a échangé contre deux oiseaux,

que ma mère nous a rapportés dans un panier,

que mon frère perdit dans le sommeil,

il avait sept ans et était fatigué…

Derrière les arbres est un autre monde,

une herbe qui a le goût du deuil, un soleil noir,

une lune des morts,

un rossignol, qui ne cesse de geindre

sur le pain et le vin

et le lait en grandes cruches

dans la nuit des prisonniers.

Derrière les arbres est un autre monde,

ils descendent les longs sillons

vers les villages, vers les forêts des millénaires,

demain ils s’inquiètent de moi,

de la musique de mes fêlures,

quand le blé pourrit, quand rien d’hier ne restera

de leurs chambres, sacristies et salles d’attente.

Je veux les quitter. Avec aucun

je ne veux plus parler,

ils m’ont trahi, le champ le sait, le soleil

me défendra, je sais,

je suis venu trop tard…

Derrière les arbres est un autre monde,

là-bas est une autre kermesse,

dans le chaudron des paysans nagent les morts et autour des étangs

fond doucement le lard des squelettes rouges,

là-bas nulle âme ne rêve plus de la roue du moulin,

et le vent ne comprend

que le vent…

Derrière les arbres est un autre monde,

le pays de la pourriture, le pays

des marchands,

un paysage de tombes, laisse-le derrière toi

tu anéantiras, tu dormiras cruellement

tu boiras et tu dormiras

du matin au soir et du soir au matin

et plus rien tu ne comprendras, ni le fleuve ni le deuil ;

car derrière les arbres

       demain,

et derrière les collines,

       demain,

est un autre monde.

Thomas Bernhard, « Derrière les arbres est un autre monde », Sur la terre comme en enfer, La Différence, pp. 25-27.

David Farreny, 26 juin 2012
intégrité

Chaque mot de la phrase doit défendre contre tous les autres – qui la menacent – l’intégrité de sa signification.

Éric Chevillard, « vendredi 5 avril 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 5 avr. 2013
personnellement

Je vous invite à regarder cet homme comme celui qui connaît personnellement toutes les lisières d’arbres, tous les buissons et tous les poteaux d’Europe.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 167.

Cécile Carret, 22 juin 2013
élan

Excuse-moi de ne pas venir aujourd’hui, j’avais dimanche quelque chose à faire et je ne l’ai pas fait, car le dimanche est court. Le matin, on dort ; l’après-midi, on se lave les cheveux et au crépuscule, on va se promener comme si on était un paresseux. J’emploie toujours le dimanche à prendre mon élan vers des plaisirs, c’est assez ridicule.

Franz Kafka, « lettre à Max Brod (21 octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 605.

David Farreny, 20 avr. 2014
cache

Ce qu’on cache c’est le pareil-que-les-autres. On en fait un secret. Un occulte. Pour camoufler le néant. Les visages sont différents, pas les corps.

Philippe Muray, « 7 janvier 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 août 2015

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