autour

Enfin, tout ce temps qu’on roule, beauté du monde orange des villes dans la nuit mal défaite, la masse si pesante de toutes choses de ciment autour de ceux qui y vivent, et dont le train indique la trace sans qu’eux-mêmes se montrent (une fenêtre ouverte sur une pièce vide).

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 80.

David Farreny, 24 janv. 2003
demeure

Une demeure (cabane, chambre, terrier ou nid) n’est que la réalisation au-dehors de cette impression d’intérieur que l’on a de son propre corps.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 98.

David Farreny, 21 oct. 2005
règle

Les premières journées d’un séjour en un lieu nouveau ont un cours jeune, c’est-à-dire robuste et ample — ce sont environ six à huit jours. Mais ensuite, dans la mesure même où l’on « s’acclimate », on commence à les sentir s’abréger ; quiconque tient à la vie, ou, pour dire mieux, quiconque voudrait tenir à la vie, remarque avec effroi combien les jours commencent à devenir légers et furtifs ; et la dernière semaine — sur quatre, par exemple — est d’une rapidité et d’une fugacité inquiétantes. Il est vrai que le rajeunissement de notre conscience du temps se fait sentir au-delà de cette période intercalée, et joue son rôle, encore après que l’on est revenu à la règle : les premiers jours que nous passons chez nous, après ce changement, paraissent, eux aussi, neufs, amples et jeunes, mais quelques-uns seulement : car on s’habitue plus vite à la règle qu’à son interruption, et lorsque notre sens de la durée est fatigué par l’âge, ou — signe de faiblesse congénitale — n’a pas été très développé, il s’assoupit très rapidement, et au bout de vingt-quatre heures déjà, c’est comme si l’on n’était jamais parti et que le voyage n’eût été que le songe d’une nuit.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 121-122.

David Farreny, 3 juin 2007
semblable

Mais qu’attendre précisément du spectacle et du théâtre quand ils ne veulent plus tromper le public, ou le trahir, mais ne demandent qu’à se retrouver en phase avec lui, qu’à faire cause commune avec ses supposés désirs livides de fraternité, de solidarité, d’égalité, de parité et de transparence ? Qu’attendre, en somme, de son semblable ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à établir avec vous et lui la moindre querelle, et encore moins l’envenimer ? Qu’attendre de ce qui ne veut, ou ne peut, même plus être désiré ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à vous séduire ? Qu’attendre de ce qui vous ressemble tant que c’en est dégoûtant ?

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 653.

David Farreny, 2 fév. 2008
exacte

Toute propriété du langage étant impossible, l’écrivain et l’homme privé (quand il écrit) sont condamnés à varier d’emblée leurs messages originels, et puisqu’elle est fatale, à choisir la meilleure connotation, celle dont l’indirect, parfois fort détourné, déforme le moins possible, non pas ce qu’ils veulent dire, mais ce qu’ils veulent faire entendre […]. L’écriture est en effet, à tous les niveaux, la parole de l’autre, et l’on peut voir dans ce renversement paradoxal le véritable « don » de l’écrivain ; il faut même l’y voir, cette anticipation de la parole étant le seul moment (très fragile) où l’écrivain (comme l’ami compatissant) peut faire comprendre qu’il regarde vers l’autre […].

L’originalité est donc le prix dont il faut payer l’espoir d’être accueilli (et non pas seulement compris) de qui vous lit. C’est là une communication de luxe, beaucoup de détails étant nécessaires pour dire peu de choses avec exactitude, mais ce luxe est vital, car dès que la communication est affective (c’est la disposition profonde de la littérature), la banalité lui devient la plus lourde des menaces. C’est parce qu’il y a une angoisse de la banalité (angoisse, pour la littérature, de sa propre mort) que la littérature ne cesse de codifier, au gré de son histoire, ses informations secondes (sa connotation) et de les inscrire à l’intérieur de certaines marges de sécurité. Aussi voit-on les écoles et les époques fixer à la communication littéraire une zone surveillée, limitée d’un côté par l’obligation d’un langage « varié » et de l’autre par la clôture de cette variation, sous forme d’un corps reconnu de figures ; cette zone — vitale — s’appelle la rhétorique, dont la double fonction est d’éviter à la littérature de se transformer en signe de la banalité (si elle était trop directe) et en signe de l’originalité (si elle était trop indirecte). Les frontières de la rhétorique peuvent s’agrandir ou diminuer, du gongorisme à l’écriture « blanche », mais il est sûr que la rhétorique, qui n’est rien d’autre que la technique de l’information exacte, est liée non seulement à toute littérature, mais encore à toute communication, dès lors qu’elle veut faire entendre à l’autre que nous le reconnaissons : la rhétorique est la dimension amoureuse de l’écriture.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 277-278.

David Farreny, 12 sept. 2009
tenir

L’immédiateté de l’Idée de la vie consiste en ceci, que le concept n’existe pas comme tel dans la vie, que, par conséquent, son être-là se soumet alors aux multiples conditions et circonstances de la nature extérieure et peut apparaître dans les formes les plus misérables ; la fertilité de la Terre fait croître la vie en tous lieux et de toutes les manières. Le monde animal est, ou peu s’en faut, encore moins capable que les autres sphères de la nature de présenter un système rationnel d’organisation qui soit en lui-même indépendant, de tenir ferme aux formes qui seraient déterminées par le concept, et de les empêcher, face à l’imperfection et aux mélanges des conditions, de se confondre entre elles, de se gâter et de passer en d’autres. — Cette faiblesse du concept dans la nature en général ne soumet pas seulement la formation des individus à des contingences extérieures — l’animal développé (et l’homme en tout premier lieu) est exposé à des monstruosités —, mais elle soumet aussi entièrement les genres aux variations de la vie universelle extérieure de la nature, dont l’animal vit, en y étant accordé, l’alternance, ce qui fait qu’il n’est qu’une alternance de santé et de maladie. Le contexte de la contingence extérieure ne contient presque que de l’étranger ; c’est continuellement qu’il exerce une violence et fait peser une menace de dangers sur le sentiment de l’animal, qui est un sentiment d’incertitude, d’anxiété et de malheur.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le genre et les espèces », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 323-324.

David Farreny, 7 fév. 2011
carrosse

Le cobalt commence à brûler. Cou en sang. Tonne de pommade. Plus moyen d’avaler. On doit me broyer la viande. Purée. Nuits difficiles, assis, comme dans un carrosse en route vers l’autre nuit, l’autre noir. Qui sait ?

Georges Perros, « L’ardoise magique », Papiers collés (3), Gallimard, p. 319.

David Farreny, 27 mars 2012
tout

Autun. L’électricien aux yeux noyés, une vieille belette. Les enfants le houspillent.

« Comment qu’ça va, missieur J. ?

– Tout doux, tout doux, du Giraudoux. »

À minuit la salle se vide dans un tonnerre, trop d’images dans la tête. On se retrouve tout seul avec 500 mètres à rembobiner.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 59.

Cécile Carret, 18 juin 2012
réussi

Parfois aussi il se demande si

ce lui serait très dur de disparaître

sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être

le long reflet d’un calme réussi.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 227.

David Farreny, 2 juil. 2013
postérité

L’écrivain œuvre pour la postérité. En effet, plus il aura écrit de livres, plus il laissera de cendres.

Éric Chevillard, « mardi 17 septembre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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