polyèdres

C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.

David Farreny, 14 avr. 2002
voir

Mercredi – Pour réussir à voir ce que cache cette fenêtre, il faudrait allonger le cou et contourner le métro d’en face, sauter par-dessus la rambarde et attendre le moment où le soleil entrera dans la chambre. S’il arrive.

Jeudi – De la voiture encore, à la même heure mais sur un trajet différent. Tout voir brusquement à ras de terre, l’Art nouveau, la dentelle aux rideaux, les rideaux de fer et les Buttes-Chaumont (un crâne d’herbe).

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
horizon

Au reste, mon horizon ne se borne pas à la littérature. Une confidence : j’écris pour gagner ma vie. Mais mes vraies passions secrètes sont l’immobilier, la bourse et l’import-export.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 27.

David Farreny, 18 mai 2009
butée

Mandex saisit l’échantillon (était-ce un échantillon ?), le balança dans le coffre, claqua la porte, se ravisa, la rouvrit doucement dans l’espoir de prendre le bidule sur le fait, en défaut. Un rai de lumière s’insinua, tombant sur des petites collines mouvementées qui, peu à peu, ondulèrent puis s’étendirent mollement sur leur aire maximale comme un gaz plat, et s’affala sur le sol, rendit, en retard, son fameux chtkk, ou chploc, un son sec de chose pressée de se taire, sans o dans le floc, un son de consonnes, chplk ou simplement k, une façon butée de signifier qu’elle n’avait aucun rapport avec les choses qu’elle cognait, ou un refus de transmettre. Mais peut-être évoluait-elle dans l’ultrason, ou l’infra.

— Faudrait un chien, alloua Pétapernal.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 110.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
arriérés

Seulement, le temps passait. Nous ne serions pas toujours enfermés dans des chambres. Le loisir studieux, les discussions planétaires auxquelles je me mêlais, le soir, laissaient entière la question qui m’avait conduit là. Il aurait fallu être quitte d’arriérés pour considérer l’avenir d’un œil égal, envisager l’une des carrières auxquelles nous étions censés nous préparer. Mes deux physiciens, que ne troublaient ni l’appel du large ni la faim sacrée de l’or, allaient poursuivre dans des laboratoires de science-fiction, illuminés par des lasers, l’examen des noyaux atomiques ou de particules encore plus minces, d’une durée si brève qu’on pouvait douter qu’elles existaient. D’autres avaient disparu en cours de route, dont on apprenait, trois mois plus tard, qu’ils étaient entrés à l’usine afin de hâter le mouvement. J’avais ce vieux compte à régler. J’étais tributaire d’un passé au regard duquel des travaux savants, la connaissance pure me semblaient négligeables. Il me prescrivait deux voies équivalentes et diamétralement opposées, soit revenir en arrière pour m’y perdre aveuglément, soit le tirer à moi, lui donner la place qui lui revenait dans l’ordre incertain, contesté qui est le nôtre : la tremblante lueur, le souffle articulé.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 72-73.

Élisabeth Mazeron, 17 mai 2010
espérance

Ces longues journées de paix studieuse, de solitude, estompent l’indigence et l’amertume du présent, laissent remonter les heures lointaines où je vivais sans y songer, le temps inconcevable, désormais, de l’enfance, de la première adolescence. J’éprouvais, dès alors, des peines pareilles à celles d’aujourd’hui, une envie de crever à laquelle les années ultérieures n’ont pas tellement ajouté. Mais jamais plus je n’aurai de joies comparables à celles d’alors. C’est qu’elles étaient faites, pour l’essentiel, de l’espérance du bonheur, dont Rousseau dit qu’elle est tout le bonheur.

Pierre Bergounioux, « mercredi 19 février 2003 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 333.

David Farreny, 26 janv. 2012
doute

J’entraîne Mam en promenade, par la rue Basse, le boulevard du Salan, la rue Blaise-Raynal. Partout veillent les souvenirs, les premiers, ceux, miraculeux, de l’enfance, lorsque le tragique de la vie, la désespérance et la douleur nous sont épargnés. Ce sont les parties hautes des façades, vers lesquelles on lève rarement les yeux, qui conservent et me rappellent les jours abolis, le temps magique et bref où j’ai vécu au présent, le bonheur qu’il y avait à être avant qu’un doute affreux ne me vienne, qui ne m’a plus quitté. Mam marche à petits pas glissés, parle, sans se soucier de savoir si je peux l’entendre, du passé, de ses grands-parents. Depuis quatre ans, elle a déserté le présent. Et j’en suis là, aussi. Tout mon bonheur était dans l’espérance et il n’est plus temps.

Pierre Bergounioux, « jeudi 1er novembre 2007 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 803.

David Farreny, 15 fév. 2012
seul

Oui, à quel point on se retrouve vite seul à ouvrir une porte de chambre, à ouvrir une fenêtre, à s’engager sur un chemin latéral !

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
sec-beurre

[…] le sandwich au saucisson. Il s’agit d’un modèle très courant de sandwich, classique au point d’être désigné sous l’appellation familière de sec-beurre mais qui me semblait, depuis quelques années, moins souvent proposé par les établissements, moins souvent désiré par les consommateurs, au point que l’on pouvait s’interroger sur l’éventualité d’une basse tendancielle du taux de sec-beurre.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
prophéties

Il tient pour lui que toute jouissance éprouvée en ce présent frelaté reste bien inférieure aux voluptés dont le régalera, Dieu sait quand, son utopie. En doute-t-on ouvertement, que l’on se voit aussitôt désigné à la vindicte des mal lotis. Rien ne le fait tant pester qu’on sourie de ses sermons et prophéties, montrant combien son désir de certitude trahit un désir de servitude. Ce n’est donc pas l’adversaire de ses opinions qu’il traitera en ennemi, mais, à juste titre d’ailleurs, le sceptique. Alors qu’il espérera persuader le premier, il sait qu’il ne pourra ébranler l’indifférence du second.

Frédéric Schiffter, « 3 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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