administration

Crab naquit avec le cerveau à la place du cœur, et inversement, on attendait de lui de grandes choses, on redoutait aussi le pire, mais il apparut vite que cela ne changeait rien, et lorsqu’à vingt ans, il manifesta le désir d’entrer dans l’administration, nombreux furent ceux qui se désintéressèrent complètement de son cas.

Éric Chevillard, La nébuleuse du crabe, Minuit, p. 85.

David Farreny, 2 sept. 2002
fils

Mon père, il était tellement pris par ses exercices dactylos et par son angoisse d’être viré à la « Coccinelle » que, même au moment du dîner, il restait dans ses réflexions ! Je l’intéressais plus beaucoup. Il avait son idée formelle bien ancrée au fond du cassis, indélébile à mon sujet que j’étais exactement la nature même de la bassesse ! le buse crétin pas remédiable ! Voilà tout ! Que je collais pas aux anxiétés, aux soucis des natures élevées… C’était pas moi dans l’existence qu’aurais tenu toute mon horreur plantée dans ma viande comme un vrai couteau ! Et qu’à chaque minute en plus je l’aurais trifouillée davantage ? Ah ! mais non ! mais non ! J’aurais secoué, trifouillé le manche ? Mieux ? Plus profond ? Ah ! plus sensiblement encore !… Que j’aurais hurlé des progrès de la souffrance ! Mais non ! Que j’aurais tourné fakir là au Passage ? à côté d’eux ? pour toujours ?… Et alors ? Devenir un quelque chose d’inouï ? oui ! de miraculeux ? D’adorable ? De bien plus parfait encore ? Ah ! oui ! Et bien plus hanté, tracassé, mineux dix mille fois !… Le Saint issu d’économie et d’acharnement familial !… Ah ! Eh bien ! Plus cafouillard ! Ah ! oui ainsi ! Cent dix mille fois plus économe ! Yop ! Lala ! Comme on aurait jamais vu ! ni au Passage ni ailleurs ! Et dans le monde entier !… Nom de Dieu ! Le miracle de tous les enfants ! Des banlieues et des provinces ! Le fils exquis ! Phénoménal ! Mais fallait rien me demander ! J’avais la nature infecte… J’avais pas d’explications !… J’avais pas une bribe, pas un brimborion d’honneur… Je purulais de partout ! Rebutant dénaturé ! J’avais ni tendresse ni avenir… J’étais sec comme trente-six mille triques ! J’étais le coriace débauché ! La substance de bouse… Un corbeau des sombres rancunes… J’étais la déception de la vie ! J’étais le chagrin soi-même. Et je mangeais là midi et soir, et encore le café au lait… Le Devoir était accompli ! J’étais la croix sur la terre ! J’aurais jamais la conscience !… J’étais seulement que des instincts et puis du creux pour tout bouffer la pauvre pitance et les sacrifices des familles. J’étais un vampire dans un sens… C’était pas la peine de regarder…

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, Le Livre de poche, p. 232.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2003
freins

L’homme est un être à freins. S’il en lâche un, il crie sa liberté (le pauvre !), cependant qu’il en tient cent autres bien en place.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 133.

David Farreny, 21 oct. 2005
nombre

Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 56.

David Farreny, 1er janv. 2006
rigoles

Il pleuvait. Il pleut toujours. Voilà quatre jours qu’il tombe une pluie fine, invisible et que je suis machinalement des yeux les rigoles d’eau sur les vitres. Dans mon lit, je jouais à deviner si une de ces bandes liquides obliquerait à gauche ou à droite et je me suis presque toujours trompé.

Georges Simenon, L’homme au petit chien, Presses de la Cité.

Cécile Carret, 11 mars 2007
historique

La neige sur les toits millier de pages

une bande d’étourneaux les notes de Satie

une à une dans l’hiver comme un pincement

les années qui s’ébattent s’emboutissent

déferlement d’inclassables saisons. Cette

promenade toujours refusée par l’Amour menu !

Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi

cela devient historique mais vivrais-je cent ans

que rien de plus ne sortirait de ce petit

cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?

Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.

David Farreny, 18 juin 2008
rire

Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, oh, Yélé ! Le feu l’a grillé, le gros Ézuzum, le feu l’a tué, le gros Ézuzum, le feu l’a mangé, le gros Ézuzum. Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, ho ! Yélé ho ! Le feu l’a mangé, kri kri kri, celui qui voulait nous manger ! Où est son grand couteau, l’eau et la marmite. Ah ! Ah ! Ah ! Nous allons rire. Merci Ngemanduma. Nous allons rire.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., p. 113.

David Farreny, 21 mai 2009
sac

On dispute à l’obscurité, au froid, à la facilité qu’il y aurait à ne pas se soucier de savoir le peu de chaleur, la médiocre clarté qu’enferme un sac de peau. On repousse l’invite de la terre qui n’arrête pas de nous tirer à elle, de vouloir de toute sa masse qu’on abandonne, qu’on s’affale comme un sac, inerte, oublieux, chose étendue parmi les choses étendues dont sa surface est jonchée.

Mais il y a le temps, la coulée diaphane où dérivent les choses, où tournoient la neige, les soleils, où nous aurons passé, tous, mais successivement, le second en premier lieu, puis le premier quand un enfançon s’ébroue dans la lumière. Et ça, on n’est pas de force à s’y opposer, aurait-on la puissance de cent mille chevaux, la hauteur des collines, des siècles à durer.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 162-163.

Élisabeth Mazeron, 18 juin 2010
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
disparaître

Cette manière de saluer en s’inclinant en avant aussi bas que possible était enseignée aux petits garçons dès l’âge de trois ans. Elle marquait de façon presque irréversible les différences hiérarchiques sur lesquelles était pour une large part construite, non seulement socialement, mais jusqu’au sein des mentalités, l’Allemagne de la fin du XIXe siècle. Ce salut, le plus jeune le devait au plus âgé et le subordonné à son « supérieur ». Les petites filles, elles, exécutaient leur Knicks dans les mêmes conditions, elles fléchissaient genoux et chevilles, pour disparaître verticalement et réapparaître ensuite. Cette marque de respect s’est conservée jusqu’en 1968. Ce n’est que depuis cette date qu’on ne voit plus les enfants et les jeunes gens disparaître sous leur propre bras.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
moins

Tu aurais beau crever d’indignation, ils n’en continueront pas moins à faire la même chose.

Marc-Aurèle, « VIII, 4 », Pensées pour moi-même.

David Farreny, 11 déc. 2014
opaques

Avec l’arrivée dans le roman de tous ceux qui écrivaient autrefois de « difficiles » essais, des poèmes épineux, d’opaques analyses, un grand dévoilement s’opère, une sorte d’apocalypse. On voit enfin ce qu’ils avaient dans le ventre. Rien que ça ! Ces banalités. Ces trois ou quatre vulgarités. Et c’est eux qui les révèlent ! Et personne ne les y obligeait ! Personne.

Philippe Muray, « 1er septembre 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 155.

David Farreny, 10 mars 2016

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer