Ils couchèrent en plein air, près des tertres de croix. Ils virent luire tristement dans la nuit les petites lampes des monuments funèbres. Ils mangèrent du pain aigre et des olives amollies. On ne sait pas s’ils volèrent. Ils furent magiciens ambulants, charlatans de campagne, et compagnons de soldats vagabonds. Pétrone désapprit entièrement l’art d’écrire, sitôt qu’il vécut de la vie qu’il avait imaginée. Ils eurent de jeunes amis traîtres, qu’ils aimèrent, et qui les quittèrent aux portes des municipes en leur prenant jusqu’à leur dernier as. Ils firent toutes les débauches avec des gladiateurs évadés. Ils furent barbiers et garçons d’étuves.
Marcel Schwob, « Pétrone, romancier », Vies imaginaires, Ombres, pp. 56-57.
Tout ce que tu dis dans la colère, le babouin l’a crié avant toi.
Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 128.
Ce qu’on était sans y songer se mue en obstacle.
Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 15.
La simple présence proche suffit amplement.
Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.
Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.
Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.
Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.
Je me tiens toujours à l’orée
des tournants définitifs
je suis insoucieux du large
et des étoiles des séismes et des holocaustes
j’affronte mon corps en combat singulier
pour des questions de préséance
je ne touche pas aux longues chevelures
je dis « je » pour faire l’Homme
je suis informe alors comme tout le monde
je m’habille.
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 90.
Vendredi – Tapis d’Orient, paraboles, serviettes de bain, draps à carreaux. Nombreuses les fenêtres sages, mais peu sont vraiment nues.
Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 20.
Ce n’est pas une esthétique du pauvre, c’est un fait : la vie est pauvre. Mais on aurait tort de penser que le ras est sans profondeur. Il y a bien assez de combinaisons dans le très peu pour que l’on continue à jouer au 4-21 avec trois dés.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.
Nous voulons savoir si notre avènement était inéluctable ou si l’homme s’est relevé en se frottant les reins de tous les tonneaux et roulés-boulés effectués par la créature animale idiote sur la pente de l’évolution, qui s’est reçue ainsi, donc, sur ses deux pieds et la tête en l’air, mais aurait pu aussi bien grandir et pencher dans d’autres directions et se retrouver belette molle ou pou du poulpe sans plus de nécessité.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 65.
Il y a quelque chose de spirituel qui peut être dit pour et contre toute chose. Un homme d’esprit pourrait, bien sûr, prendre le contre-pied de cette affirmation, et saurait même me la faire regretter.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 290.
– Je verrai tout cela à tête reposée, disait-il souvent, mais quand la condition fut remplie, la première pelletée de terre l’aveugla complètement.
Éric Chevillard, « jeudi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗