su

On peut ne s’être jamais su l’auteur de cette prose sourde.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 7.

David Farreny, 7 mars 2004
bonheur

N’ayez pas peur du bonheur ; il n’existe pas.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 24 sept. 2004
grimace

Les années passant, je me suis mis à mal supporter les dîners à plus de quatre convives où, le vin aidant, propos et attitudes finissent toujours par se décaler, fût-ce légèrement, pour derrière la façade aimable d’un ami très cher, faire place à la grimace plus ou moins supportable d’un parfait inconnu. J’ai donc pris le risque de passer pour un triste sire, m’étant aperçu que je n’avais nulle envie de découvrir chez les autres quoi que ce soit qu’ils n’aient eu expressément envie de me dire.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 10.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
secret

L’eau fuit avec des froissements de couleuvre, tinte, dans sa hâte, contre les pierres, écume légèrement contre sa rive, profère des paroles que j’ai failli comprendre, qu’il a tenu à un imperceptible défaut d’articulation de sa part ou d’attention de la mienne, que je n’entende. Une bouche humide a formé, à trois pas, les mots qui contenaient à n’en pas douter un grand secret. J’ai surpris la voix de la terre rêvant tout haut mais notre désaccord foncier, le mauvais vouloir, l’hostilité qu’elle nous a marqués, d’emblée, à nous qui pourtant étions ses enfants, n’a pas permis que j’en recueille le dire, que je sois introduit, trop passager, périssable, sans doute, à de profondes, d’éternelles vérités.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 14.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
exagération

Le seul témoin qui me resta de cette époque fut une photographie de mes parents, représentés tous deux en costumes surannés, la main dans la main, avec, aux yeux, un regard naïf de bonheur rengorgé ; elle avait été faite, en signe d’orgueil, peu de jours après ma venue, et le cliché en était détruit. Je l’avais moi-même décrochée du mur paternel, déjà jaunie, et je lui vouais un respect et des soins tout particuliers.

Qu’est-elle devenue ?

Je l’aimais sans doute avec exagération, car je l’ai si bien cachée un jour, que jamais plus je ne l’ai retrouvée.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 17.

David Farreny, 13 juil. 2010
milieu

Pas de milieu : ou on est seul, abandonné, ou on est aimé, c’est-à-dire traqué, isolé, enfermé.

Paul Morand, « 11 mars 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 460.

David Farreny, 2 sept. 2010
umlaut

« Nous traversons un moment difficile, dit-il d’une voix flûtée. Difficulté de reconnaissance. Difficulté de vision. Bien, peu importe. Il faut s’attendre à ce genre de choses. Cela peut se produire quand nos instincts sont sous-développés. On s’enlise alors dans le caprice, la croyance erronée que nous avons gagné de l’importance. Cet homme, fit-il en désignant Synge de son monocle, est un génie. Vous m’entendez ?

— Oui, Mr Yeats, grommelèrent deux comédiens.

— Qu’est-il ? Dites-le tous !

— UN GÉNIE, MR YEATS.

— En effet. C’est exact. Il est notre Eschyle. Notre Ibsen. Il est l’un des Mages qui s’humilie en pénétrant dans notre étable. Nous sommes les pourceaux, les bœufs, les ruminants de son apothéose. Nous sommes les bouses dans la paille. Que sommes-nous ?

— Les bouses, Mr Yeats, répondit avec docilité un figurant.

Personne ne se retourna vers lui.

— Tout à fait. Nous sommes des détritus. Nous sommes dérisoires. Viles présences. Et vous, et vous, et vous — oui, surtout vous ! — serez bienheureusement oubliés et redevenus poussière quand l’œuvre de cet Homère sera glorifiée. Il chevauchera notre cheval ailé vers le mont Olympe tandis que… nos misérables bicyclettes rouilleront chez un brocanteur. Aucun de nous — j’ai bien dit aucun de nous — n’est digne de cirer ses richelieus. Et quand vous serez vieux, perclus de lassitude, la meilleure chose dont vous pourrez vous souvenir concernant vos existences futiles de petits colporteurs sera qu’un jour vous avez côtoyé un titan. Vous descendrez alors ce même texte, que vous souillez à présent de votre bave grégaire, de l’étagère où il aura reposé des années — des décennies, peut-être — et le foyer ancien de notre muse vous brûlera de honte car vous ne vous êtes pas agenouillés quand vous en aviez l’occasion.

— Yeats, mon vieux, je crains que vous n’alliez un peu trop…

— Silence, Synge ! »

Yeats se retourna vers les comédiens, un rictus de dérision le faisait paraître plus grand, et il passa la main dans la masse de ses cheveux.

« Pitoyables ingrats qui vous croyez déjà arrivés, poursuivit-il d’un ton terrible. Vous n’êtes que verrues sur les cuisses d’un paysan !

— Ah, là, interrompit Dossie Wright.

— Vous ne comptez pas, Wright. Vous êtes un vide, un trou sans fond. Tous autant que vous êtes, vous n’êtes qu’un surplus de population. Des Z bâtards. Des lettres non nécessaires. Sans les œuvres de ce génie, vous êtes… des umlaut ! »

Il prononça ce dernier mot avec grandeur, feignant de ne pas y trouver de plaisir.

Joseph O'Connor, « Répétition au théâtre de l’Abbaye à Dublin », Muse, Phébus, pp. 100-102.

David Farreny, 3 sept. 2011
repos

Je commençai par admirer ; puis savez-vous l’effet que cela me produisit ? je m’endormis. Étendue sur la pierre humide, couverte par la froide vapeur de l’eau, bercée par ce tonnerre, je goûtai là quatre heures du repos le plus profond, et j’y dormirais je crois encore, si, les chevaux étant arrivés, on ne m’avait enfin découverte dans la retraite que j’osais partager avec une énorme grenouille aux yeux calmes, naïade de la cascade, tout étonnée de recevoir une mortelle.

Léonie d'Aunet, « Lettre III. Drontheim », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 87.

David Farreny, 8 sept. 2011
dormait

K. dormait ; ce n’était pas d’un sommeil véritable ; il entendait les discours de Bürgel peut-être plus nettement qu’éveillé, dans l’accablement de la fatigue ; il distinguait chaque mot, mais du fond d’une âme inconsciente, adieu son importune conscience, il se sentait parfaitement libre, Bürgel ne le retenait plus, le sommeil avait fait son œuvre, s’il n’était pas au fond du gouffre il était déjà submergé. Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête. Il lui semblait qu’il venait de remporter un triomphe et que déjà toute une société se trouvait là pour le célébrer ; il levait son verre de champagne en l’honneur de cette victoire (si ce n’était lui, c’était un autre, peu importe) ; et, pour que tout le monde sût bien de quoi il s’agissait, on recommençait le combat et la victoire ; ou, pour mieux dire, on le livrait à neuf, et on l’avait déjà fêté, et on ne cessait pas de le fêter parce que l’issue, par un heureux hasard, en était connue à l’avance.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 758.

David Farreny, 24 oct. 2011
négations

Ma tante cherche mon oncle dans les hôpitaux. Elle cherche son frère dans les prisons, dans les carrés des indigents. Pendant des années.

Elle appelle les mairies, les établissements pénitentiaires, les agences, les administrations, les offices, les bureaux, les associations. Elle était institutrice et méthodique ; elle avait un timbre aigu et des phrases un peu compassées ; elle faisait toujours toutes les négations en entier.

Elle va consulter avec son mari en R16 les registres loin dans le département.

Elle l’a trouvé finalement. Il avait une grosse tumeur, chez un ferrailleur, dans une cabane au fond de la parcelle, au milieu des carcasses de voitures.

Il n’avait plus de dents. Il a souri comme les pauvres.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 57.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
servir

Flamant rose, héron cendré, serait-il donc impossible de se faire servir un échassier à point ?

Éric Chevillard, « vendredi 20 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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