être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
ensemble

Les Ématrus sont lichinés ou bien ils sont bohanés. C’est l’un ou l’autre. Ils cousent les rats qu’ils prennent avec des arzettes, et sans les tuer, les relâchent ainsi cousus, voués aux mouvements d’ensemble, à la misère, et à la faim qui en résulte.

Les Ématrus s’enivrent avec de la clouille. Mais d’abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé, où ils sont trois et quatre jours avant de reprendre connaissance.

Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 42.

David Farreny, 13 avr. 2002
finis

De la plage du loch Laidon, curieusement aimable et sableuse, on contemple au sud cette énorme bouchée de néant, Rannoch Moor, la lande de Rannoch, qui s’achève en une ligne de montagnes désertes, bien sûr. Mais justement elle ne s’achève pas. On sait bien qu’au-delà il y a plus de solitude encore (c’est à peine concevable), plus d’absence, plus de rien modelé par la bruyère, velouté par la lumière, malaxé par les ciels, moiré par les eaux innombrables, incessamment pétri par le temps qu’il fait et qu’il n’a même pas le temps de faire : grands pans de soleil en oblique sur des brumes errantes, blocs de charbon suspendus, sables roses comme des chairs de femme — on a rêvé, ce n’est plus là. Pourtant ce n’est pas fini, ce n’est jamais fini, c’est nous qui sommes finis, ravagés de finitude, de manque de temps, de manque d’argent, de livres à rendre, de nuit qui vient : quand bien même on y consacrerait sa vie (et c’est tentant) on sait bien qu’on serait impuissant face à ce vide adorable, terrible et toujours dérobé, auquel nous sommes aussi peu commensurables qu’à l’énormité des bibliothèques. Oh, bien sûr, on peut tricher, on peut aller de l’autre côté, en voiture, en train (n’y a-t-il pas une gare ? C’est la gare de Rien) ou même en avion : on sait bien qu’on n’aura rien étreint, rien possédé, rien aimé, rien vu ; qu’un nuage qui passe fait de cette lande un autre monde.

Renaud Camus, « dimanche 3 août 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, pp. 441-442.

David Farreny, 7 mai 2006
dilemme

Dilemme : le fusil ou le travail.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 24.

David Farreny, 19 nov. 2006
occasion

K. restait toujours dans sa neige ; il n’était pas tenté d’en retirer ses pieds qu’il eût fallu y replonger un peu plus loin ; le maître tanneur et son compagnon, satisfaits de l’avoir définitivement expédié, rentrèrent lentement dans la maison par la porte entrouverte en retournant fréquemment la tête pour jeter un regard sur lui, et K. resta seul au milieu de la neige qui l’enveloppait. « Ce serait l’occasion, se dit-il, de me livrer à un petit désespoir, si je me trouvais là par l’effet d’un hasard et non de par ma volonté. »

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 506.

David Farreny, 22 oct. 2011
revêche

Cet après-midi-là où je vis se dérouler le début de son histoire, devant les deux autres, il retomba dans ses pensées et se mit tout à coup à dire à la belle pharmacienne : « Pourquoi êtes-vous tellement bronzée ? Chez les anciens Égyptiens, seuls les hommes étaient bronzés, les femmes, elles, en revanche, se devaient d’être blanc albâtre ou blanc blême. D’ailleurs pourquoi la plupart des pharmaciens se baladent-ils de nos jours arborant constamment ce bronzage et surtout les pharmaciennes ?

— Mais vous êtes bronzé vous-même et basané comme un fellah.

— Chez moi c’est naturel, et cela vient aussi de passer du soleil à l’ombre plutôt que de rester comme vous enduites de crème allongées dans les cabines de bronzage sud-azur, où on vous affine le dosage des rayons selon le blanc de la blouse.

— Vous voilà bien revêche aujourd’hui ! Et vous vouliez naguère pourtant ériger une pyramide en mon honneur ! »

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 19 fév. 2014
sécurité

Comment se sentir en sécurité alors que le suicide est toujours possible ?

Éric Chevillard, « jeudi 4 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 sept. 2014
hystérique

Ainsi, la vie de quelqu’un dont l’existence a précédé d’un peu la nôtre tient enclose dans sa particularité la tension même de l’Histoire, son partage. L’Histoire est hystérique : elle ne se constitue que si on la regarde — et pour la regarder, il faut en être exclu.

Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Gallimard/Le Seuil, p. 102.

David Farreny, 14 juin 2015
terreur

Pour que la Russie s’accommodât d’un régime libéral, il faudrait qu’elle s’affaiblît considérablement, que sa vigueur s’exténuât ; mieux : qu’elle perdît son caractère spécifique et se dénationalisât en profondeur. Comment y réussirait-elle, avec ses ressources intérieures inentamées, et ses mille ans d’autocratie ? À supposer qu’elle y arrivât par un bond, elle se disloquerait sur-le-champ. Plus d’une nation, pour se conserver et pour s’épanouir, a besoin d’une certaine dose de terreur.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 17 mars 2024
autre

Une autre solitude serait-elle possible ?

Éric Chevillard, « mercredi 8 juillet 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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