intérieur

Il avait meublé son deux pièces — au prix, inévitablement, de certaines choses essentielles — avec un certain luxe, quoique approximatif. Il apportait un soin tout particulier aux sièges — des fauteuils profonds et moelleux —, aux rideaux et aux tapis. Il assurait avoir ainsi créé un intérieur « qui garantisse la dignité de son ennui ». Dans une pièce de style moderne l’ennui devient inconfort, souffrance physique.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 36.

Guillaume Colnot, 16 mai 2002
arrondi

Présence obsédante de l’eau. On suit des fleuves, c’est relayé par des canaux. Il y a ces étangs du dimanche, creusés en arrondi au bulldozer, et tout autour des bancs sans dossier ni ombre. Arbres minces en tuteur, et une cabane en tôle. Un grillage haut avec portail fer forgé qui a dû coûter plus cher que le terrain.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 9.

David Farreny, 24 janv. 2003
abysses

Premièrement, Palafox peut rester jusqu’à quatre-vingt-dix minutes sous l’eau. C’est le privilège des amphibies, ayant le choix entre notre monde et les abysses, on les voit peu.

Éric Chevillard, Palafox, Minuit, p. 114.

David Farreny, 22 juin 2006
conversation

Victime d’une conversation il doit s’aliter.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 32.

David Farreny, 19 nov. 2006
théophaniques

Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ? Est-ce que ce sont nos yeux, qui sont les mêmes, ceux de Vincent, du facteur et les miens ? Est-ce que ce sont nos cœurs qu’un rien séduit, qu’un rien éloigne ? Est-ce toi, jeune homme qui es assis chez Antoine Vollard, qui as posé à côté de toi ton chapeau et avec feu entretiens de très jolies femmes à propos de la peinture ? Ou vous, toiles perchées dans Manhattan, marchandises qui dans vos lubies théophaniques réjouissez les dollars et ce faisant sans doute approchez un peu de Dieu, aussi ? Est-ce toi, browning ? C’est toi peut-être, Vieux Capitaine coiffé d’azur qui regardes un petit tas bleu de Prusse tombé sur un chemin ; c’est vous bêtes blanches, savantes et muettes, dont loin d’ici rue des Récollettes on touche le volume exact, qui connaissez ce qu’exactement valent trois francs ; c’est vous, corbeaux là-dessus volant que nul ne saurait acheter, dont on n’a pas l’usage, qui ne parlez pas et n’êtes mangés que dans les pires disettes, dont Fouquier même ne voudrait pas à son chapeau, chers corbeaux à qui le Seigneur a donné des ailes d’un noir mat, un cri qui casse, un vol de pierre, et par la bouche de Linné Son serviteur le nom impérial de Corvus corax. C’est vous, chemins. Ifs qui mourez comme des hommes. Et toi soleil.

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, p. 72.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2007
dialoguer

— Mais pourquoi tu es agressif comme ça ? me répond-on. J’accumule les maladresses, je serais un fâcheux pédagogue. Je participe mal aux conversations de chez nous, surtout intellectuelles ou qui l’imitent (parce qu’en plus ça s’imite : la grenouille qui se fait crapaud, la peste qui devient vérole). Toute chose que je dis devant quelqu’un se met aussitôt en orbite autour de son nombril et, pour me répondre, c’est à cette gravitation que mon interlocuteur réagit. Il ne conçoit pas la chose que je nomme, serait-ce un pauvre hareng saur : il contemple seulement le paysage de lui-même que crée la nouvelle lune que j’ai lancée. Et, selon la lumière qu’elle donne à son nombril, il approuve, critique, retouche ou, le plus souvent, élimine : la lune tombe. Son nombril est triste, je ne sais pas dialoguer.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 61.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
furent

On peut se tromper de chemin. Lorsqu’on le découvre, il n’est généralement plus temps de revenir à la bifurcation et de choisir l’avenir que nous assignaient un penchant inné, la voix profonde du grand passé. Ils furent sans effet parce que le présent, après avoir tardé sans mesure, a fini par nous atteindre et nous l’avons suivi au loin. Les bêtes dont j’avais partagé la résidence, croisé, parfois, la route enchantée, sont restées, elles, au pays de l’enfance. Elles m’attendent, peut-être, comme il m’arrive de rêver que je les retrouve. Ce sera pour une autre vie. Je ne sais pas.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 47.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
membrane

Tous ses rapports avec le monde semblent se produire à travers quelque membrane. Cette membrane empêche toute forme de fertilisation. Métaphore intéressante, gros potentiel, mais il ne voit pas où cela peut le mener.

John Maxwell Coetzee, L’été de la vie, Seuil, p. 312.

David Farreny, 8 janv. 2011
peut

L’éducation est une chose admirable, mais il convient de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut d’être connu ne peut s’enseigner.

Oscar Wilde, « Quelques maximes pour l’instruction des personnes trop instruites », La vérité des masques, Rivages.

David Farreny, 4 déc. 2012
hologramme

Pourtant, présence sournoise ou pathétique, crécelle de la morale des grands-parents échoués d’une autre esthétique, tableaux, lits, armoires anciens rôdaient dans nos vies. Le passé émaillait notre décor par touches, incrustées entre les meubles modernes : hologramme d’un autre monde.

Emmanuelle Guattari, La petite Borde, Mercure de France, p. 123.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
délivre

Des corrélations entre topos et macrotopos

Des éléments suprasegmentaux,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Du vocoïde,

Du vocoïde nasal pur ou sans occlusion consonantique,

Du vocoïde bas et du semi-vocoïde homorganique,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Du programme épistémologique dans l’œuvre,

De la dimension épistémologique et de la dimension dialogique,

Du substrat acoustique du culminateur,

Des systèmes générativement compatibles,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Des apparitions de Chomsky, de Mehler, de Perchonock

De Saussure, Cassirer, Troubetzkoy, Althusser

De Zolkiewsky, Jacobson, Barthes, Derrida, Todorov

De Greimas, Fodor, Chao, Lacan et caterva

Délivre-nous, Seigneur.

Carlos Drummond de Andrade, Exorcisme.

David Farreny, 25 nov. 2014
mensonge

Passé le Torne-Träsk, on entre en Laponie norvégienne. Le chemin de fer, qui traversait des eaux dormantes et un désert pierreux, s’engage brusquement sur la paroi d’un fjord. En bas, tout en bas, au-dessus de la vague glauque, des hameaux s’accrochent à la montagne verdoyante. Le paysage est grand, abrupt, touché çà et là de douceur humaine, et, jusque dans sa raideur, d’une jeunesse impétueuse. On débouche sur le port de Narwick, petite ville que la Norvège vient de jeter là comme un appeau brillant aux minerais de la Suède, et on s’embarque pour les îles Lofoten.

Elles nous apparurent dans la nuit. Nous vîmes se dresser, barrant l’horizon, une chaîne ininterrompue de hautes montagnes crénelées, effilées, déchiquetées, sculptées, gothiques. Elles étaient d’un gris bleu avec des lueurs de soleil ou de neige et de petits nuages ourlés de feu entre leurs dents aiguës. Tout l’archipel se mirait sur une mer d’un vert de métal, comme s’il eût été suspendu dans une clarté diaphane. Le navire se glissa par d’énormes brèches, longea des corridors, doubla des murailles de granit, nous promena toute la nuit dans un aquarium de pierre, d’écume, de mousses luisantes et d’algues d’or. Nous nous aperçûmes que le jour naissait aux plis d’ombre qui se creusaient sur les rochers. L’inégalité de la lumière nous avertissait que la nuit était passée. L’obscurité commençait à rétrécir les couloirs ; mais les crêtes et les rampes où frappait le soleil revêtaient le mensonge brillant de la vie.

André Bellessort, La Suède, Perrin.

David Farreny, 13 janv. 2015

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