bord

Ce n’est point qu’elle fût laide, madame Puta, non, elle aurait même pu être assez jolie, comme tant d’autres, seulement elle était si prudente, si méfiante qu’elle s’arrêtait au bord de la beauté, comme au bord de la vie, avec ses cheveux un peu trop peignés, son sourire un peu trop facile et soudain des gestes un peu trop rapides, ou un peu trop furtifs.

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, p. 136.

Bilitis Farreny, 12 oct. 2003
veille

L’atmosphère ressemblait à une haleine, pour un peu on aurait cru voir le crépuscule, dans la même lumière inchangée depuis toujours ; ce fut la tombée de la nuit sur le rivage sans terre et les reflets sans provenance. La nuit bord à bord avec le niveau de la mer. Car tout cela finit par s’imposer sans être jamais prouvé ; le phénomène se déroule et personne ne consacre des heures de veille à l’étudier, ce qui serait bien vain — mais l’espérance d’un résultat précis, d’une preuve rongée et dissoute déjà…

François Rosset, L’archipel, Michalon, pp. 46-47.

David Farreny, 12 mars 2008
espérance

Pourquoi ne pouvons-nous pas tout arrêter, nous rendre invisible, inaudible, saborder tout contact avec le siècle ? À cause de l’absurde espérance, bien sûr : elle nous force à maintenir ouverts les canaux qui nous relient à lui ; car le départ est impossible à faire, en eux, de ce qui ne peut que nous importuner affreusement, la bureaucratie d’exister, tellement paperassière, elle aussi, tatillonne, dure d’oreille, et du miracle qui nous rendrait la paix. Aussi sommes-nous forcés de laisser tourner les machines d’être au monde, mais à leur régime le plus doux, le plus simple. Toute phrase est encore trop : ce qu’écrivant je parle nécessaire d’un autre, de l’autre, puisque je ne cesse, pour ma part, d’en sécréter sans y penser, comme on voit.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
holophrase

Je-t-aime n’est pas une phrase : il ne transmet pas un sens, mais s’accroche à une situation limite : « celle où le sujet est suspendu dans un rapport spéculaire à l’autre ». C’est une holophrase.

(Quoique dit des milliards de fois, je-t-aime est hors-dictionnaire ; c’est une figure dont la définition ne peut excéder l’intitulé.)

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, pp. 176-177.

Élisabeth Mazeron, 20 déc. 2009
possible

On lui essaya, chez le tailleur de l’hôtel, l’uniforme des grooms d’ascenseur qui était d’apparence fastueuse, avec boutons et galons d’or, mais qu’il ne mit qu’avec une légère répugnance, car la tunique, surtout sous les aisselles, était froide, raide, et en même temps irréparablement humide de la sueur de tous les grooms qui l’avaient portée. Il fallut l’élargir notamment de la poitrine, aucune des dix qu’on avait sous la main ne pouvant lui convenir, même momentanément. Malgré les travaux de couture qui furent alors nécessaires, et bien que le maître tailleur fit l’effet d’être très minutieux — il renvoya deux fois l’uniforme à l’atelier — tout fut réglé en cinq minutes et Karl sortit de là en groom avec un pantalon collant et une tunique très étroite quoique le maître tailleur affirmât le contraire : ce vêtement incitait Karl à d’incessants exercices du thorax, car il voulait toujours chercher à se rendre compte qu’il lui était encore possible de respirer.

Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 114.

David Farreny, 17 mars 2011
dans

Attends, a-t-il dit, il faut que je te montre la maison, et, même si je n’avais pas très envie d’une visite guidée, je me suis senti bien dans sa phrase.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 101.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
espérance

Ces longues journées de paix studieuse, de solitude, estompent l’indigence et l’amertume du présent, laissent remonter les heures lointaines où je vivais sans y songer, le temps inconcevable, désormais, de l’enfance, de la première adolescence. J’éprouvais, dès alors, des peines pareilles à celles d’aujourd’hui, une envie de crever à laquelle les années ultérieures n’ont pas tellement ajouté. Mais jamais plus je n’aurai de joies comparables à celles d’alors. C’est qu’elles étaient faites, pour l’essentiel, de l’espérance du bonheur, dont Rousseau dit qu’elle est tout le bonheur.

Pierre Bergounioux, « mercredi 19 février 2003 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 333.

David Farreny, 26 janv. 2012
délivre

Des corrélations entre topos et macrotopos

Des éléments suprasegmentaux,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Du vocoïde,

Du vocoïde nasal pur ou sans occlusion consonantique,

Du vocoïde bas et du semi-vocoïde homorganique,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Du programme épistémologique dans l’œuvre,

De la dimension épistémologique et de la dimension dialogique,

Du substrat acoustique du culminateur,

Des systèmes générativement compatibles,

Délivre-nous, Seigneur.

[…]

Des apparitions de Chomsky, de Mehler, de Perchonock

De Saussure, Cassirer, Troubetzkoy, Althusser

De Zolkiewsky, Jacobson, Barthes, Derrida, Todorov

De Greimas, Fodor, Chao, Lacan et caterva

Délivre-nous, Seigneur.

Carlos Drummond de Andrade, Exorcisme.

David Farreny, 25 nov. 2014
limites

L’homme est peut-être moitié esprit et moitié matière, comme le polype qui est mi-plante, mi-bête. Les plus étranges créatures sont toujours celles se trouvant aux limites.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 210.

David Farreny, 11 déc. 2014
mélanger

Il faudrait une vie pour être amoureux, une autre pour être érudit, une troisième pour être riche, et une autre encore pour être beau. Le drame est que nous sommes obligé de tout mélanger.

Jérôme Vallet, « Notations (4) », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024
sociale

Tolérer jusqu’aux idées stupides peut être une vertu sociale ; mais une vertu qui tôt ou tard reçoit son châtiment.

Nicolás Gómez Dávila.

David Farreny, 22 mars 2024

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