délasser

Fade matinée. Je dépêche les paquets de copies qui s’accumulaient. Jean vient couler un œil sur la besogne. Il en conçoit une haute idée parce que je suis en train de juger ses semblables. La corvée expédiée, je passe à la dernière livraison des Actes de la recherche, lis l’article de L. Pinto sur l’enseignement de la philosophie puis, pour me délasser de cette analyse rigoureuse, un peu austère, la Géologie des gîtes minéraux de Raguin.

Pierre Bergounioux, « mercredi 8 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 212.

David Farreny, 14 mars 2006
défaite

On ne cesse d’osciller, dans l’irrésolution la plus critique, entre la position de neutralité attentiste, flirtant avec la tentation de s’abstenir, de faire le mort ou de renoncer purement et simplement, et l’envie d’aller quand même de l’avant, de répondre coûte que coûte à l’appel réitéré, à l’invitation paradoxale de la vie. Mais rarement quelqu’un se trouve là au bon moment, derrière soi, susceptible de comprendre ce dilemme, cette angoisse d’exister, cette défaite en puissance, et de tendre le bras pour une caresse de consolation, un geste réconfortant, un signe qui rompe le délaissement, atténue la déception, restaure un peu de la confiance perdue.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 66.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
affecté

Il est impossible de n’être pas affecté par ce qui n’est point nous. Des dispositions innées ou latentes nous rendent aimables des formes et des couleurs qui se recommandent, semble-t-il, par certains rapports où prédominent la régularité, le contraste, tandis que d’autres affligent cette part de nous-même qui, quoique immatérielle, n’en est pas moins très réelle et suprêmement ouverte au monde dont elle est flanquée. On peut se contenter de subir, de réagir instinctivement, fuir les aires maléficiées, rechercher les sources de quiétude, ainsi que fait, sans balancer, sans phrase ni pensée, tout ce qui vit. On peut aussi, à partir d’un certain âge, se demander, s’efforcer de porter dans cette clarté qui n’est que de nous, les agissements étranges auxquels on sacrifie aveuglément, depuis toujours.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, p. 27.

David Farreny, 2 juin 2008
arriérés

Seulement, le temps passait. Nous ne serions pas toujours enfermés dans des chambres. Le loisir studieux, les discussions planétaires auxquelles je me mêlais, le soir, laissaient entière la question qui m’avait conduit là. Il aurait fallu être quitte d’arriérés pour considérer l’avenir d’un œil égal, envisager l’une des carrières auxquelles nous étions censés nous préparer. Mes deux physiciens, que ne troublaient ni l’appel du large ni la faim sacrée de l’or, allaient poursuivre dans des laboratoires de science-fiction, illuminés par des lasers, l’examen des noyaux atomiques ou de particules encore plus minces, d’une durée si brève qu’on pouvait douter qu’elles existaient. D’autres avaient disparu en cours de route, dont on apprenait, trois mois plus tard, qu’ils étaient entrés à l’usine afin de hâter le mouvement. J’avais ce vieux compte à régler. J’étais tributaire d’un passé au regard duquel des travaux savants, la connaissance pure me semblaient négligeables. Il me prescrivait deux voies équivalentes et diamétralement opposées, soit revenir en arrière pour m’y perdre aveuglément, soit le tirer à moi, lui donner la place qui lui revenait dans l’ordre incertain, contesté qui est le nôtre : la tremblante lueur, le souffle articulé.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 72-73.

Élisabeth Mazeron, 17 mai 2010
mémoire

– J’arrive ! hurla-t-il.

C’étaient ces voix exigeantes, toujours les mêmes, dont les sonorités lui perçaient la mémoire jusqu’aux couches les plus primitives, jusqu’à la strate première de sa naissance et même avant, jusqu’à la période du dortoir, quand ses grands-mères manipulaient sa forme embryonnaire et feulaient au-dessus de lui pour lui transmettre leur vision du monde.

Il écarta le rideau, il sortit. Il se tint sur le seuil pendant cinq minutes, massif comme un yack.

— J’écoutais un quatuor de Baldakchan, dit-il.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 178.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
fonce

Merde, le con, il est là, dit-il.

En effet, presque en haut, au moment où le plan de son regard rejoint le plan du quai, au ras du sol, il le voit qui est là, bleu et rouge, immobile, avec ses portes grandes ouvertes, ses fenêtres avec ces gens tranquillement assis qui regardent ailleurs, qui attendant, il les voit en même temps qu’il entend le signal :

Laaaaaaaaa.

Tu peux l’avoir, se dit-il. Non. Je te dis que tu peux l’avoir. Je te dis que non. Et moi je te dis que si. Allez, cavale, cavale, t’as le temps. Non. Je te dis que t’as le temps. Et moi je te dis merde. Pauvre con. Vas-y, nom de dieu, tu peux y arriver. Essaie, au moins, une fois dans ta vie, ne laisse pas tomber, tu laisses toujours tomber, défends-toi, bon dieu, allez, vas-y, fonce, fonce, alors il fonce.

Plus que dix mètres à courir.

Laaaaaaaaa.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 49.

Cécile Carret, 4 mars 2012
instant

Je vis à fond l’instant passé.

Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 2 juil. 2013
chauve-souris

La chauve-souris dort d’un sommeil de fil à plomb.

Éric Chevillard, « mardi 18 mars 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 19 mars 2014
quand

On n’a qu’une vie, j’ai bien compris, mais elle commence quand ?

Éric Chevillard, « samedi 13 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 13 sept. 2014
devenir

Faire croire à des gens d’esprit que nous sommes ce que nous ne sommes point est plus difficile, dans la plupart des cas, que de devenir vraiment ce que l’on veut paraître.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 283.

David Farreny, 13 janv. 2015

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