empalés

Ces bouffons lamentables et ces polichinelles humanitaires (il paraît qu’avant même d’expédier Kouchner au Kosovo, on a envoyé des clowns dans les camps de réfugiés ; et ce qui est invraisemblable c’est qu’ils n’aient pas été empalés dès leur arrivée) envahissent comme de juste l’espace malade du nouveau monde, seul et dernier théâtre où ils ont encore une petite chance, avec leurs gaudrioles morbides, de déchaîner le rire jaune des têtes de mort ; et de voir des squelettes se tenir les côtes. Si tu ne viens pas aux rigolos, les rigolos viendront à toi ; même sous perfusion.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 448.

David Farreny, 20 mars 2002
menaçante

Un mode de la présence sur terre agonise, qui n’avait pas que ses mérites, bien sûr, mais qui avait produit de grandes œuvres, de beaux espaces et de hautes pensées. Beaucoup d’entre nous lui étions attachés, et celui que nous voyons s’apprêter à le remplacer, et même régner à sa place, déjà, en maints endroits, n’a pas de si évidents mérites, par comparaison, qu’il nous console de cette perte. Non seulement nous ne devons rien faire pour la différer, pourtant, il nous faut y applaudir des deux mains. Comme le disait avec une franchise menaçante une publicité des années récentes : « Nous allons vous faire aimer l’an 2000. » C’est un peu beaucoup nous demander.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 127.

David Farreny, 4 mai 2002
vigne

L’aspect des vignes revêt partout un caractère extrêmement désordonné en raison de la technique de propagation en usage : le marcottage ou provignage. La plantation initiale d’une parcelle s’effectue grâce à des boutures le plus souvent non racinées et plantées dans des trous ou des fossés assez espacés. Ensuite, les ceps sont multipliés par l’enfouissement dans le sol des sarments jugés vigoureux, lesquels sont séparés de la souche-mère après enracinement. On aboutit ainsi à une densité allant de 10 000 à 40 000 ceps à l’hectare. Un tel procédé, comme on peut s’en douter, donne une physionomie très opposée à celle des vignes actuelles bien peignées. Au bout de quelques décennies, même si la plantation initiale est disposée en lignes, le plus grand désordre règne dans la vigne, qui peut même être tout encombrée de bois mort. La conduite est basse, et dans ce cas, la vigne s’appuie sur des échalas, ou bien haute, et alors elle court souvent, à la façon méditerranéenne, d’arbre en arbre. Beaucoup de vignes sont, en effet, complantées d’arbres fruitiers variés, pratique qui nuit évidemment à la qualité de la production, tout comme l’édification de haies arborées entre les parcelles. Dans les vignes-jardins, deux techniques élaborées, probablement héritées de l’Antiquité, sont utilisées : la conduite sur treillage en berceau constituant une allée ombragée et sur treillage en toiture ou pergola recouvrant toute la surface d’une parcelle.

Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, p. 144.

Guillaume Colnot, 13 sept. 2002
étonnement

Nous portons toute la misère du monde

les pires injustices toutes les

atrocités sont en nous

elles sont au monde parce qu’elles

sont en nous et je ne comprends

pas que cela constitue

un sujet d’étonnement

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
institutrice

Dans le temps, fleur aveugle,

tu t’accrois en nous, avec

le don du silence, avec tout ce qui excède

Nos paroles et qui en elles t’appartient,

ô Mort, sœur difficile !, ô institutrice !

chienne mentale !

Lionel Ray, Syllabes de sable, Gallimard, p. 255.

David Farreny, 27 août 2006
orgueil

Oui, il est toujours là. Tant pis ; accommodons-nous de sa présence et tâchons de le rendre de plus en plus subtil (il a déjà maigri de moitié depuis que je le taquine). Éducation de l’orgueil, quel programme ! Cela consisterait à lui donner carrière, à le satisfaire, à le pousser toujours plus avant jusqu’au point où il devient l’humilité et l’intelligence totale. Quand j’aurai le temps, j’essaierai.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 avr. 2007
insomnie

Je tiens la réalisation de mon vœu, plutôt décevante, comme il était à prévoir : ne souhaiter rien exprimer, souhaiter ne rien exprimer. Le lac de Caresse est une insomnie, le voir ne m’en avait nullement averti. Précisément nous ne l’avions pas vue, sinon ce peu profond étang dont le brouillard volait les bords à nu, les sèches entrailles pierreuses, ou notre insuffisant désir.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., p. 47.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
encoche

Certaines idées ou personnes pour lesquelles on se serait fait tuer semblent, avec le recul, aussi dérisoires qu’une encoche d’ombre un jour de grand soleil. Le cœur pèse alors si lourd dans la poitrine qu’on se retient de se juger.

Michel Monnereau, Carnets de déroute, p. 157.

Élisabeth Mazeron, 19 nov. 2009
peine

La traversée de la Loire à pied ensuite, par l’Ancien pont, le pont Jacques Gabriel, subissait le même mépris, flétrissure et déconsidération.

Dès lors, on y voyait des personnages de misère, des déments, des vieux s’y engager, dans la giflure des bourrasques et l’échevèlement, ralentis dans l’ascension du tablier qui forme un dos. On les laissait à peine traverser les clous lorsqu’ils en avaient besoin.

Dessous, il y avait la sauvagerie stupéfiante de la Loire et de ses remous.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 133.

Cécile Carret, 30 sept. 2013
incroyables

Je me souviens, avec une tristesse ironique, d’une manifestation ouvrière, dont j’ignore le degré de sincérité (car j’ai toujours quelque difficulté à supposer de la sincérité dans les mouvements collectifs, étant donné que c’est l’individu, seul avec lui-même, qui pense réellement, et lui seul). C’était un groupe compact et désordonné d’êtres stupides en mouvement, qui passa en criant diverses choses devant mon indifférentisme d’homme étranger à tout cela. J’eus soudain la nausée. Ils n’étaient même pas assez sales. Ceux qui souffrent véritablement ne se rassemblent pas en troupes vulgaires, ne forment pas de groupe. Quand on souffre, on souffre seul.

Quel ensemble déplorable ! Quel manque d’humanité et de douleur ! Ils étaient réels, donc incroyables. Personne n’aurait pu tirer d’eux une scène de roman, le cadre d’une description. Cela coulait comme les ordures dans un fleuve, le fleuve de la vie. J’ai été pris de sommeil à les voir, un sommeil suprême et nauséeux.

Fernando Pessoa, « 72 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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