fond

Avec grand-mère, ça a été comme si le fond reculait, qu’on cesse un peu de le sentir, de le voir, parce qu’elle était la dernière de ce temps, la seule survivante de la phalange pour qui les jours lumineux, les heures exaltées de ma dix-septième année seraient les derniers, s’ils n’appartenaient pas déjà à ces au-delà du fond où l’on devient une image au mur qu’un verre mince sépare du temps.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 86.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
limites

Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensembles ? ou toutes ensembles ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant).

À l’encontre. Ne plus se vouloir tout est tout mettre en cause. N’importe qui, sournoisement, voulant éviter de souffrir se confond avec le tout de l’univers, juge de chaque chose comme s’il l’était, de la même façon qu’il imagine, au fond, ne jamais mourir. Ces illusions nuageuses, nous les recevons avec la vie comme un narcotique nécessaire à la supporter. Mais qu’en est-il de nous quand, désintoxiqués, nous apprenons ce que nous sommes ? perdus entre les bavards, dans une nuit où nous ne pouvons que haïr l’apparence de lumière qui vient des bavardages. La souffrance s’avouant du désintoxiqué est l’objet de ce livre.

Georges Bataille, L’expérience intérieure, Gallimard, p. 10.

Guillaume Colnot, 16 janv. 2005
conversation

Victime d’une conversation il doit s’aliter.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 32.

David Farreny, 19 nov. 2006
fantassins

Une section de fantassins se repose dans un espace vide entre deux maisons. Les uns sont couchés, dorment. Les autres, debout, contemplent avec indifférence la caravane morcelée dans le village. Je m’approche. Ils ont fait la Somme. J’attends d’eux quelque clarté, quelque espoir. Mais je n’ai devant moi que les soldats mystérieux, les soldats résignés. Je cherche en eux l’âme, le fond, le choix, le désir. Ils ne me livrent pas leur secret. Ils parlent soldat. Ils sont las. Je n’obtiens d’eux que quelques : « Il ne faut pas s’en faire… »

Léon Werth, 33 jours, Viviane Hamy, p. 19.

Cécile Carret, 11 mars 2007
gratuit

Tout ce qui est gratuit rend ingrat.

Stephen Smith, Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, p. 115.

David Farreny, 27 mars 2007
accessoirement

Dites-vous que la douleur s’estompe à la longue, tout passe, même vous, même eux, les corps et le reste, les couples se succèdent indifféremment, sans laisser de traces bien longtemps, un clou chasse l’autre comme on dit, leurs pas s’effacent les uns à la suite des autres, et tout va benoîtement à la disparition sans trop faire de scandale. La plupart du temps, errant comme des âmes en peine, des fantômes qui ne veulent pas vraiment exister, ni pleinement s’actualiser dans le monde immédiat, il faut s’avouer que l’on n’est pas capable d’aimer, que l’on n’est pas vraiment à la hauteur du sentiment ni même du désir amoureux, que l’on ne voit que la face souriante du paradis à l’horizon. L’on s’en approche de très près, jusqu’à en toucher la lisière lumineuse, mais on ne poursuit pas plus avant cette vision de rêve, cette promesse, aventureuse.

Vivant anonymes, parmi des contemporains de bien peu de poids en réalité, menacés, périssables, incertains, l’on occupe sa vie à penser accessoirement à l’essentiel, à ce qui constituerait peut-être une bonne raison d’exister effectivement, et nombre de rencontres importantes, de passages à l’acte, d’engagements à plus ou moins long terme se produisent selon l’humeur ou l’occasion, faute de mieux quelquefois, comme en désespoir de cause.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
ou

Mon orgueil et mon délaissement étaient tels, à l’époque, que je souhaitais être mort ou requis par toute la terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 141.

David Farreny, 4 janv. 2009
chose

Apparut sur l’unique étagère une chose amorphe et sombre qui remua aussitôt, glissa, visqueuse, roula sur elle-même et s’écrasa par terre comme un chiffon mouillé. Ils approchèrent ; la chose émit un bruit de chute en retard, un chtkk qui se confondit avec un pas. Flasque, la serpillière (ce n’était pas une serpillière) remua, se déroula toute seule, silencieusement, quelques secondes encore après sa chute, sans précipitation, savait ce qu’elle avait à faire et, lascivement, entièrement, s’étala jusqu’à proposer la surface plane d’un quadrilatère irrégulier de quarante centimètres sur la plus grande longueur par vingt-cinq à peu près, sur la hauteur. La perfection de sa surface et la magie de sa sortie juraient avec son contour comme tracé à main levée mais aussi avec l’asymétrie de sa forme qui rappelait un trapèze, un trapèze déhanché, qui ne rappelait rien. Un coin corné et les faux plis se résorbèrent pour s’aplatir lentement en une surface lisse qui brillait un peu. Pétapernal souleva un pan qui retomba d’un coup, chtkk.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 108.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
pennes

je vis les noirs martinets

tourner dans un ciel d’orage

en criant criant mais n’est-

ce pas d’un sombre présage ?

au matin j’étais à Vienne

sur le Rhône un aigle noir

labourait l’air de ses pennes

pour revoir Montélimar

mais soudain il dériva

comme un cerf-volant qui casse

sa ficelle et s’en reva

vers de plus vastes espaces

William Cliff, « Montélimar », Immense existence, Gallimard, p. 41.

David Farreny, 30 mai 2011
traînées

Aux approches de Paris, on plonge dans l’innommable, des traînées sales, brouillards jaunâtres, hydrogène sulfureux, nuées d’ypérite, flaques de naphte, mares de phosgène, grumeaux de bitume. Par un renversement de l’ordre ptoléméen, nous retombons dans la sphère de Saturne dont nous avions cru, durant le vol, nous être libérés. Pesanteur et goût de plomb. L’œuvre au noir n’a pas fonctionné. Et le minium, couleur d’aurore, n’a pas réussi sa cristallisation.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 147.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
sec-beurre

[…] le sandwich au saucisson. Il s’agit d’un modèle très courant de sandwich, classique au point d’être désigné sous l’appellation familière de sec-beurre mais qui me semblait, depuis quelques années, moins souvent proposé par les établissements, moins souvent désiré par les consommateurs, au point que l’on pouvait s’interroger sur l’éventualité d’une basse tendancielle du taux de sec-beurre.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
malgré

Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015

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