donc

On a toujours remarqué que ce qu’il y avait de plus merveilleux dans l’homme était l’enthousiasme, mais que, hélas, on s’y cassait promptement les os, ou bien l’on cassait les os des autres.

Les Goulares ont essayé de dissocier les deux. L’enthousiasme et son objet. Donc, pas d’objet.

Ils s’excitent à s’exciter.

On en voit, solitaires sur un roc, ou en troupes sur les places, dans la transe. Envahis par des fièvres de loup.

Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 13 avr. 2002
Heebs

En tout cas, au milieu des cabanes délabrées des Heebs, il avait éprouvé une terreur véritable, il avait eu le sentiment d’être à découvert, d’être exposé sans aucune défense possible au milieu des constructions humaines les plus dérisoires : c’était une décharge publique où s’élevaient des cabanes en carton. Les Heebs cependant n’émettaient aucune protestation. Ils vivaient au milieu de leurs ordures dans un équilibre tranquille.

Philip K. Dick, Les Clans de la Lune Alphane, Albin Michel, p. 9.

Guillaume Colnot, 23 avr. 2002
plastique

La matière est prise dans la grande métamorphose. C’est le triomphe du plastique. Je me rappelle sa première apparition, des porte-clés jaunes, en forme de blason, souples, légèrement collants, estampés du nom de la firme Gilac. Et dans les mois qui suivent, les jouets, les cuvettes, les couverts et les gobelets, les chaises, les volets, les rasoirs, les garnitures d’automobiles et jusqu’aux armes automatiques des marines américains dont je vois la photo, dans une revue, avec la légende : « Leurs fusils sont en plastique ».

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 82.

David Farreny, 6 août 2003
néant

Le sortilège qui rend peureuse la lampe, sournois les chaises et le lait, hostiles les tentures, on en subit encore l’emprise après avoir quitté la maison. La rue est différente, les façades, entre lesquelles les phares de la voiture tâtonnent, aussi feintes que les panneaux de toile peinte qui cherchent à nous faire croire, au théâtre, que la scène se passe en ville, la nuit alors que c’est l’inverse. Les murs fantomatiques, les fleurs noires des jardins, les statues de bronze, les allées désertes exhibent, sans fard, leur véritable visage, proclament, sans phrases, qu’ils sont autres, insoucieux de nos agissements, sourds à nos répliques, tels que nous les verrions après avoir joué notre partie, avec nos âmes absentées, nos yeux vides. C’est à huit ans, avant l’aurore, que j’ai découvert le néant qui marche sans bruit sur nos pas, enlève nos traces, et je ne l’ai jamais plus oublié depuis.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, pp. 42-43.

David Farreny, 24 nov. 2005
sens

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 110.

David Farreny, 13 oct. 2006
il

Aujourd’hui, il sort de la forêt de bon matin, un blaireau sur l’épaule. Il descend vers Rouen. Dans la rue, les gens se retournent sur lui : c’est un colosse, un géant. Sous sa tignasse gris-jaune, sourit une tête d’enfant à la peau bien lisse. Ses jambes sont longues et minces, il a des fesses de danseuse et le torse court, étroit et incroyablement épais. Le plus étrange chez lui, ce sont ses mains, qui au bout de jambons démesurés sont d’une telle finesse qu’elles semblent conçues pour de la dentelle. Il avance en chaloupant, et il pue.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 25.

Cécile Carret, 9 mars 2012
prise

Certaines personnes ne comprennent rien à ce que j’écris, mais rien. Elles m’en font parfois la confidence – parmi elles, des embarrassées, bien honteuses même et qui en conçoivent une sorte de mésestime d’elles-mêmes qui bien évidemment me navre ; mais aussi, parmi elles, des offusquées, vaguement moqueuses ou méprisantes qui me prennent pour un prétentieux vain et fumeux, ce qui bien évidemment me navre. Pour toutes, ma phrase est telle : x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x + x, si elle n’est carrément x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2 + x2. Elles dérapent sur mes pages comme sur de la glace ou s’y égarent comme dans un brouillard. Leur intelligence peut être agile, par ailleurs, ce ne sont pas (toutes) de sombres brutes, mais cette fois rien à faire : pas d’entrée, pas de prise. À se demander si nous possédons le même cerveau, devant ce constat angoissant : nos têtes ne peuvent rien échanger que des hochements dépités et les bosses qui en résultent quand elles se cognent.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 162.

Cécile Carret, 9 mars 2014
éclat

Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.

Cécile Carret, 12 mai 2024

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