apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
crochet

Je comprends parfaitement les femmes qui font de la broderie par chagrin, et celles qui font du crochet parce que la vie existe.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 31.

David Farreny, 9 fév. 2003
également

Mariez-vous, vous le regretterez ; ne vous mariez pas, vous le regretterez aussi ; mariez-vous ou ne vous mariez pas, vous le regretterez également ; si vous vous mariez ou si vous ne vous mariez pas, vous regretterez l’un et l’autre. Riez des folies de ce monde, vous le regretterez ; pleurez sur elles, vous le regretterez aussi ; riez des folies de ce monde ou pleurez sur elles, vous le regretterez également ; si vous riez des folies de ce monde ou si vous pleurez sur elles, vous regretterez l’un et l’autre. Fiez-vous à une jeune fille, vous le regretterez ; ne vous fiez pas à elle, vous le regretterez encore ; fiez-vous à une jeune fille ou ne vous fiez pas à elle, vous le regretterez également ; si vous vous fiez à une jeune fille ou si vous ne vous fiez pas à elle, vous regretterez l’un et l’autre. Pendez-vous, vous le regretterez ; ne vous pendez pas, vous le regretterez aussi ; pendez-vous ou ne vous pendez pas, vous le regretterez également ; si vous vous pendez ou si vous ne vous pendez pas, vous regretterez l’un et l’autre. Ceci, Messieurs, est la somme de toute la sagesse de la vie.

Søren Kierkegaard, « Diapsalmata », Ou bien... Ou bien..., Gallimard, p. 33.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
labeur

Mercredi matin, nous avons fait les courses au Champion de Fleurance. Et c’était un moment délicieux. Je songeais une fois de plus à cette phrase qui me reste de Paris Texas, de Wim Wenders : « Nous étions si heureux que même de faire les courses au drugstore était un plaisir. » Sans doute étais-je seul à être si heureux ; et c’était un bonheur bien tremblant, bien mal assuré sur ses bases, et même tout à fait dépourvu de fondement, ainsi que la suite allait s’empresser de le prouver. Mais se disputer en riant pour savoir si l’on prenait tel ou tel type de biscuit, c’était exactement la vraie vie, à laquelle je me trouvais rendu après des années de malentendu, et que je trouvais seule normale, naturelle, consubstantielle à mon être, le revers exact de cette solitude et de cette tristesse à crever qui m’avaient vu si souvent pousser mon ridicule chariot le long des mêmes allées de supermarché, loin de toute raison d’exister et tout occupé au seul fastidieux labeur de durer. C’est à cela que me voici brutalement restitué. Je n’en éprouve que de l’horreur.

Renaud Camus, « dimanche 14 février 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, pp. 129-130.

David Farreny, 14 mars 2004
écoute

Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.

Le souffle, où était le souffle ?

Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
temps

Il nous reste si peu de temps qu’il nous faut aller lentement.

Helmut Lachenmann.

David Farreny, 27 mars 2010
satisfaction

J’ai étendu aux insectes, qui mènent une vie mystérieuse et braillante, sous l’écorce, la nuit, l’attention passionnée, atavique, sans doute, que m’inspiraient les hôtes écailleux de l’humide élément. Telle serait ma contribution affirmative au pays natal. Elle en garde le pli. Ce qu’il contenait d’attirant n’était accessible qu’après une épisode déplaisant, plein de dégoût. Ce que j’obtenais n’était jamais exempt de l’hostilité foncière, du refus auxquels se heurtaient les aspirations les plus humbles, comprendre un peu, posséder quelque chose de beau ou de bon, connaître quelque satisfaction.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 92-93.

Élisabeth Mazeron, 31 mai 2010
tare

Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme, et, sous la toison de boucles brunes, jadis orgueil de ma mère, mais déjà bien assagies, je distingue un profil assez fin. Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 41.

David Farreny, 13 juil. 2010
vérifier

Tout en marchant, je n’ai pas pu m’empêcher, en passant devant une vitrine, d’y vérifier à quelque distance mon reflet. J’aurais préféré me trouver plus élancé, mais ça n’a pas été le cas.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 133.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
mer

Cependant le médecin-major, quand ils sortirent du tunnel dans un virage, tendit son index bagué de cornaline dans la lumière du soleil, et dit : « La voilà. »

Où ça ? Elle était là, en dessous de lui, devant lui, elle était vraiment là, c’était la mer, la mer elle-même, calme et bleue, telle qu’il l’avait vue sur la carte murale de l’école primaire. Seulement un petit coin de mer, le golfe de Fiume, un petit pan du Quartnéro. La bouche ouverte, il la fixait. Mais il ne put même pas jouir de son émerveillement, elle avait déjà disparu. La mer jouait à cache-cache avec lui.

C’est plus tard qu’elle se déploya devant lui, longtemps après, dans sa paisible majesté.

Il ne l’avait pas rêvée plus belle ni plus vaste. Elle l’était bien d’avantage qu’il ne l’avait imaginé jadis. Un bleu lisse, infini, dessus les barques, coquilles de noix ébréchées et voiles blanches, oranges, noires, basculant de biais comme des ailes de papillon exténués venus se poser sur le miroir de l’eau pour y boire. Il n’entendait pas le murmure des vagues. Il ne les voyait pas retomber. Les bateaux eux-mêmes ne bougeaient pas plus vite que ses propres jouets d’autrefois, que sa main d’enfant tirait en tous sens dans une cuvette. Pourtant elle était solennelle, elle était gigantesque, dans son unique, son antique auréole de millénaires.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 68.

Cécile Carret, 26 août 2012
démonétisée

Je n’ai rien à faire, serre quelques mains, bavarde avec des libraires, des journalistes, des auteurs. Je les regarde, ces auteurs : fatigués, ringards, pitoyables, attendant le chaland sous les projecteurs qui les enlaidissent : Anne Wiazemski qui se décatit de salon en salon ; Marie Nimier dont le profil se rapproche de l’oiseau de proie et chez qui rien n’est laid sans que cependant l’ensemble soit beau ; Jocelyne François qui ne me reconnaît pas ou ne le veut ; Jean-Christophe Rufin qui, lui, me rappelle que nous nous sommes vus à Beyrouth, l’an dernier, et qui me dit : « J’ai dépassé les 80 000 exemplaires ; et toi ? » ; Lacouture, « régional de l’étape » qui cligne des yeux et grimace comme un vieil ecclésiastique surpris à la sortie d’un bordel ; Dominique Fernandez qui semble épuisé d’être lui-même et pose une main fripée de vieille femme sur l’épaule de son giton, et tant d’autres dont la vue me désole, tâcherons des lettres, commis, clercs, mitrons, courtisans, sycophantes, ilotes d’une renommée impossible et d’une gloire hors d’atteinte, sans doute démonétisée…

Richard Millet, « 10 octobre 1998 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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