taille

Il me vient à l’esprit que l’être n’a pas de taille. On le savait. Je le sens. C’est grave. Ce n’est pas tranquillisant.

Comment espérer jamais trouver la quiétude si l’on n’a d’assiette que métaphysique.

Agir gèle en moi.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 923.

David Farreny, 26 juin 2004
rapporte

Nous avons tenu, et la création avec nous, dans la paume tiède, brunie, d’une main dont l’empan n’excédait pas outre mesure le nôtre. Nous avons habité un monde dont les bords, en se relevant, nous épargnaient le vertige des grandes étendues, avec son contre-coup, l’exiguïté sentie de nos embrassements, la tragique finitude de notre condition, son goût douceâtre de néant.

La connaissance vient après, à supposer qu’elle vienne jamais. Elle n’est pas exactement un mal mais elle s’y rapporte. Elle sert à remédier à ce qui, soudain, ne va plus.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, pp. 10-11.

David Farreny, 24 nov. 2005
hiver

Tout le monde est malade, grippe, arête, l’hiver taille en pièces. Genève, elle, est pleine de campagne et je te vois reprenant tes sentes sous les horloges bleues, et dans la nuit, au-dessus du lac, contre la montagne. LA PAIX HÔTEL DE LA PAIX HÔTEL DE sur son parapet. On doit entendre au Richemond des bouts de concerts. Je t’aime même dans mon sommeil. Je lis tard.

Dominique de Roux, « lettre à Christiane Mallet (15 décembre 1971) », Il faut partir, Fayard, p. 278.

David Farreny, 21 août 2008
bâillante

Dieu sait quel désir avait à ce point levé la terre et les arbres sur la terre et le ciel parfait au-dessus des arbres. L’homme qui croyait savoir, d’expérience et de réflexion, l’essentiel de la vie, n’en revenait pas de la densité de joie qui fixait le temps aux marges infimes de l’éternité. De hautes fleurs bleues balançaient leurs clochettes. Il aurait fallu respirer sans bouger et que, dans les veines, le sang courût sans mouvements. Alors peut-être, proie toute pure de sa ferveur, l’homme eût-il atteint ce qu’il était venu chercher : un souvenir aboli, un mot oublié, un désir inconnu — la vérité dont son être était le fruit égaré, la plénitude de ce qui n’avait guère été jusqu’à présent, chez lui, que le vide, le creux, la vallée bâillante et sans foi.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 29 mars 2010
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
empêche

Ce qui l’empêche de se lever est une certaine pesanteur, le sentiment d’être à l’abri quoi qu’il arrive, le pressentiment d’un lieu de repos qui lui est préparé et n’appartient qu’à lui ; ce qui l’empêche de rester couché est une inquiétude qui le chasse de sa couche, sa conscience, son cœur qui bat interminablement, sa peur de la mort et son besoin de la réfuter, tout cela l’empêche de rester couché et il se relève. Ces hauts et ces bas, ainsi que quelques observations rapides et insolites faites par hasard sur ces chemins constituent sa vie.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 501.

David Farreny, 9 nov. 2012
seul

Voici la vérité, je suis seul,

seul dans ma propre nuit où mon ombre se couche

dans la chose qui fuit je me touche et me perds

égoutier du grand songe,

ma main me pousse pleine de lignes, de racines,

— ai-je vraiment manqué de foi ?

Je grimpe les Alpes de force et je n’ai pas de guide

je ne suis pas alpiniste,

je n’ai pas demandé le danger, il est là,

je n’aime pas marcher, qui est-ce qui marche en moi ?

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 47.

David Farreny, 21 juin 2013

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