nés-fatigués

Ma vie : Traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 455.

David Farreny, 22 juin 2002
aveu

Priape. Son pantalon dépenaillé masque mal — l’usure valant pour un aveu — l’obstination rigoureuse de son membre. Faut-il songer à l’épouvantable sujétion qui régente la vie de cet homme, causée par l’impuissance de ces bures, robes, justaucorps, pantalons, portés au fil des siècles, à dissimuler la turgescence qui l’accable ? Dans les époques anciennes, ce signe distinctif était perçu avec davantage de tolérance. On désignait Priape au moyen de ce sobriquet : « Dru-dans-le-pantu », qui lui rendait sa condition supportable.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 178.

David Farreny, 15 nov. 2002
ailleurs

J’espère recouvrer ici la paix de l’esprit, — peut-être même accéder à des qualités plus hautes. Je ne sais encore d’où viendra le salut, mais j’irai jusqu’au bout de mon effort, jusqu’aux limites de mon appel ; je ne renoncerai pas.

Et, d’abord, il me faudra apprendre à échapper au pouvoir effrayant des choses. Car je n’ai pas choisi ces coïncidences : mais le fait est que dans mon voisinage, sur trois points différents, se trouvent un cimetière, une prison et une maison de fous. Trois avenues divergentes, de proportions presque grandioses, partent de la place située sous ma fenêtre, et descendent, entre des rangées de marronniers, vers ces trois métropoles de la mort, du crime et de la folie.

Il est vrai, cela fait qu’on respire ici beaucoup plus d’air qu’on n’en respire ailleurs.

Paul Gadenne, La rue profonde, Le Dilettante, p. 199.

Guillaume Colnot, 20 mars 2003
beauté

Vivre dans la beauté, voilà l’exigence où nous devons nous barricader absolument ; refuser ses banlieues, leurs commodités, leurs accoutumances ; renouveler chaque fois l’expérience de l’émerveillement, de la solitude, de la nuit s’il y faut la nuit. Ne pas transiger sur ce point. Ne pas écouter la voix du bon sens, de la résignation, de la fatigue. Suivre les fleuves, se mettre à l’écoute du silence, creuser toujours davantage notre absence au monde, puisqu’elle est notre seule éternité, le seul frémissement de notre sourire, la pierre philosophale où se transmue l’instant en son essence poétique, qui est probablement de n’être rien (et nous avec lui) : une fraîcheur contre notre visage, un souffle venu de la rivière, une fallacieuse fulgurance des signes, leur évidence coite.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 300.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
frivolité

Je ne suis pas très vaillant. Normal, je suis à moitié mort et, en principe, Marie-Louise l’est complètement. Bien chanceuse au demeurant, puisque la voilà débarrassée d’un joli poids d’incertitude. Je me case le menton entre les pointes des clavicules — j’ai perdu une bonne dizaine de kilos, je me choque et m’entrechoque plus fréquemment qu’avant, mais je peux aussi me caler, m’emboîter mieux. L’os est sensible, sonore, résistant et amical, il me console de la frivolité de la graisse, de son inconstance constitutive. Me voilà genoux aux dents, je ferme les yeux.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 17.

Élisabeth Mazeron, 31 oct. 2007
protocole

Il y a une utopie, qui consiste à imaginer le dialogue comme la pure rencontre de deux bonnes volontés ; cette utopie est libérale, c’est-à-dire transactionnelle : on y considère la parole comme une marchandise susceptible d’accroissement, de diminution, ou même de destruction, offerte au contrat et à la compétition. Il y a une mauvaise foi du dialogue, qui consiste à sublimer sous les espèces d’une attitude « ouverte », la secrète et inflexible volonté de rester soi pendant que l’autre concède et se défait. Il y a une réalité du dialogue, qui en fait seulement le protocole d’une certaine solitude.

Roland Barthes, « Trois fragments », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 559-560.

David Farreny, 1er oct. 2009
couler

L’homme que j’aimais m’avait reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il m’a dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre si follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser – difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ?

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 50.

Cécile Carret, 16 mars 2012
erratique

Et lorsqu’il partit en voiture et regarda par-dessus l’épaule ce quadrilatère là-bas, posé dans ce reste de steppe, il lui parut déconnecté des environs, comme inapproprié au sol alentour, comme une sorte de bloc erratique. Plus aucun enfant éveillé. Pas un oiseau dans le ciel. Là-bas, en revanche, un nuage, un grand cumulus d’un blanc gris, à la frange, de multiples bosses, qui dérivait lentement vers l’est, comme en pèlerinage.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 49.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
plus

La littérature voulait être plus que ça. Elle voulait se substituer au monde.

Éric Chevillard, « jeudi 19 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 22 sept. 2013
cou

La conversion de malfaiteurs avant leur exécution peut être comparée à une espèce de gavage : on les engraisse spirituellement et, afin qu’ils ne rechutent plus, on leur coupe ensuite le cou.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 183.

David Farreny, 5 déc. 2014
religiosité

Religiosité contemporaine monstrueuse. Pourquoi ? Parce que plus personne, à moins d’être fou à lier, ne croit plus à la résurrection des corps ou à la vie éternelle. L’ennui, c’est que ce soit la seule croyance qui ait disparu. Tout le reste est intact, toute la religion est intacte. Or, c’était la seule croyance qui, parce qu’elle était réellement folle, justifiait la folie religieuse.

Philippe Muray, « 13 janvier 1991 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 fév. 2024
connivences

Le scepticisme et la foi présentent certaines connivences : tous deux minent la présomption humaine.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 32.

David Farreny, 3 mars 2024

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