antennes

À l’endroit de Pina Bausch j’avais les plus acerbes préjugés, et dans l’ensemble ils n’ont pas été déçus. Ô justesse de l’idée préconçue — en général, s’entend, et pour peu qu’on n’ait pas de trop mauvaises antennes !

Renaud Camus, « jeudi 13 juin 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 128.

David Farreny, 13 avr. 2002
insaisissables

Les imbéciles font de bien plus redoutables adversaires, dans une discussion, que les gens intelligents, car n’exerçant aucun contrôle sur leurs propres arguments, ils sont insaisissables.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 67.

David Farreny, 14 avr. 2002
colère

Tout ce que tu dis dans la colère, le babouin l’a crié avant toi.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 128.

David Farreny, 20 nov. 2005
au-delà

Là-dessus, le Père Ubu, qui n’a pas volé son repos, va essayer de dormir. Il croit que le cerveau, dans la décomposition, fonctionne au-delà de la mort et que ce sont ses rêves qui sont le Paradis.

Alfred Jarry, « lettre à Rachilde (28 mai 1906) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 617.

Guillaume Colnot, 28 janv. 2006
dilapidons

Asthénie profonde, noire, qui engendre des pensées désespérantes et que je m’explique mal. Nous sommes rentrés depuis une semaine. Je dors convenablement, ne souffre de rien, à ma connaissance. Et je sens, au réveil, que la nuit ne m’a pas livré l’habituel contingent de forces neuves qu’on trouve au seuil de la journée. Il faut en être privé pour découvrir que c’était, là encore, un des bienfaits sans nombre qui nous furent prodigués. La lucidité qui vient, avec l’âge, n’est jamais que le revers des pertes successives. Proust a dit ça : « Nos idées sont le succédané de nos chagrins. » C’est le déclin, la mort qui s’apprête, chaque jour, qui nous révèlent, après coup, l’étendue des richesses, la surabondance de biens qui nous sont alloués, à l’origine, et que nous dilapidons gaiement.

Pierre Bergounioux, « lundi 8 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 459.

David Farreny, 12 déc. 2007
surprise

Ainsi, le projet même d’une liberté en général est un choix qui implique la prévision et l’acceptation de résistances par ailleurs quelconques. […] Tout projet libre prévoit, en se pro-jetant, la marge d’imprévisibilité due à l’indépendance des choses, précisément parce que cette indépendance est ce à partir de quoi une liberté se constitue. Dès que je pro-jette d’aller au village voisin pour retrouver Pierre, les crevaisons, le « vent debout », mille accidents prévisibles et imprévisibles sont donnés dans mon projet même et en constituent le sens. Aussi la crevaison inopinée qui dérange mes projets vient prendre sa place dans un monde préesquissé par mon choix, car je n’ai jamais cessé, si je puis dire, de l’attendre comme inopinée. Et même si ma route a été interrompue par quelque chose à quoi j’étais à cent lieues de penser, comme une inondation ou un éboulis, en un certain sens, cet imprévisible était prévu : dans mon pro-jet une certaine marge d’indétermination était faite « pour l’imprévisible » comme les Romains réservaient, dans leur temple, une place aux dieux inconnus, et cela, non par expérience des « coups durs » ou prudence empirique, mais par la nature même de mon projet. Ainsi, d’une certaine manière, peut-on dire que la réalité humaine n’est surprise par rien. […] Il n’est jamais rien qui étonne, dans le monde, rien qui surprenne, à moins que nous ne nous déterminions nous-mêmes à l’étonnement.

Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, pp. 564-565.

David Farreny, 11 nov. 2008
aaaah

« Aaaah ! », et soudain elle fut là, un gong de cuivre, très bas dans l’éther : la lune en éclipse. Au-dessus de maigres pins veufs. Quelques buts de football, comble de l’autisme, trônaient sur le terrain. Elle regarda et prononça docilement le mot qu’il fallait : « Oppolzer ! ». « Oppolzer », repris-je en serrant plus fort l’os de son bras ; avec toutes les métaphores que j’ai déjà inventées pour désigner la lune, ce ne serait que justice si on donnait mon nom à un de ses cratères !

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 142.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
seuil

Au seuil d’une belle journée et ainsi jusqu’au soir sans même la voir décliner, demeurant sur son seuil infranchissable. Constatation familière.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 179.

David Farreny, 30 juin 2014
morts

Combien de livres morts pour moi… Même parmi les plus grands, même ceux de nos chers auteurs, Balzac, je connais par cœur ta chanson, Hugo, je n’ai plus assez d’entrain pour te rejoindre au sommet de ton emphase, Kafka, mon âme ne saurait se tordre davantage, Proust, je suis fatigué de tes subtiles investigations, Céline, j’ai pour toi la camisole de ma lassitude… Les œuvres sont éternelles, mais le lecteur prend de l’âge. Car, évidemment, c’est bien moi plutôt qui suis déjà mort pour elles.

Éric Chevillard, « lundi 15 mai 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
muette

On dit d’une grande douleur qu’elle est muette. L’avantage, au contraire d’une grande joie, c’est que le voisinage n’en est pas dérangé.

Frédéric Schiffter, « préface », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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