publiés

Les Anciens pourraient dire à raison que leurs poèmes, simplement chantés, étaient publiés, tandis que nos livres, imprimés, restent toujours inédits.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 nov. 2002
médiocrité

D’elle émanait ce qui est peut-être la véritable sagesse de la vie, une médiocrité résignée.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 95.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
ouvrir

Plus une écriture est elliptique, blanchie, économe de mots, plus elle optimise la résonance de chacun d’eux, et ouvre le sens. Mais il y a une limite basse à cela : à trop vouloir ouvrir le sens, il n’y a plus de polysémie mais seulement un mot, nu comme un ver.

On peut isoler un mot sur la page, mais il faut alors que le reste de la séquence ou du poème pousse sur lui comme un pack de rugby « jusqu’à ce qu’il éclate et livre son ciel ».

Bref il convient de ne pas délaver au point qu’il n’y ait plus que de l’eau.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 12.

Cécile Carret, 4 mars 2010
avant

Il reste tant de choses à faire avant d’anticiper.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 58.

Cécile Carret, 4 mars 2010
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
automne

Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.

Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.

David Farreny, 16 août 2010
disparaître

Cette manière de saluer en s’inclinant en avant aussi bas que possible était enseignée aux petits garçons dès l’âge de trois ans. Elle marquait de façon presque irréversible les différences hiérarchiques sur lesquelles était pour une large part construite, non seulement socialement, mais jusqu’au sein des mentalités, l’Allemagne de la fin du XIXe siècle. Ce salut, le plus jeune le devait au plus âgé et le subordonné à son « supérieur ». Les petites filles, elles, exécutaient leur Knicks dans les mêmes conditions, elles fléchissaient genoux et chevilles, pour disparaître verticalement et réapparaître ensuite. Cette marque de respect s’est conservée jusqu’en 1968. Ce n’est que depuis cette date qu’on ne voit plus les enfants et les jeunes gens disparaître sous leur propre bras.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 10 juil. 2011

J’ignore si les gens, globalement, s’intéressent aux volcans d’Auvergne. S’ils ont à l’esprit qu’il s’agit de volcans, même éteints. Personnellement, je tends à l’oublier. Je m’avançais dans un paysage de petite montagne, avec des mamelons et peu d’à-pics, et j’observais la végétation. À un moment, je suis descendu de voiture et me suis avancé en grimpant vers des bosquets d’épineux. Il n’y avait personne, le sol était pelé, il recommençait à faire chaud. Je me suis dit que tout était quand même très beau, très silencieux, très hostile. Qu’on voyait très loin, trop. Que je ne détestais pas la montagne mais que la question était de savoir ce qu’elle faisait là, et pour qui. Je doutais de tout ça.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
citrons

Mais, avant de partir, j’achetais au marchand de journaux l’un des quotidiens de Rome ou de Milan dont chaque page avait la taille d’une affiche et qu’on lisait en écartant les bras comme un Christ. Chaque mot imprimé avait son poids d’encre et de plomb. Sans couleur, sans publicité, la une ne présentait rien que d’intimidant. Cette austérité, au pays des citrons !

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 101.

David Farreny, 20 juil. 2014
chier

Nous marchions depuis un quart d’heure, en silence, dans le centre-ville de Brive. La plupart des rues étaient piétonnes. Les pavés de la chaussée dessinaient des motifs fleuris. Les façades étaient toutes rénovées. Chaque pierre était jointée à la perfection. À espacements réguliers, des vasques de géraniums alternaient avec des containers d’œillets d’Inde. Des haut-parleurs diffusaient une musique d’ambiance relaxante. Il y avait des boutiques sympas et des haltes gourmandes. Une signalisation spécifique pour les piétons proposait des itinéraires malins. Nous commencions à nous faire chier.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 251-252.

David Farreny, 28 fév. 2015
jour

Le bleu tournoya longtemps

au-dessus des pins sylvestres

le vent négligemment

l’effaça

Les ronciers décochaient des obus siffleurs

qui n’explosaient pas

l’étang brassait

une joaillerie suspecte

Je flattai ce grand chêne

séculaire

je n’évitai aucune ornière

je bêtifiai avec les moutons

je vieillis d’un jour.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 44.

David Farreny, 1er mai 2015
journal

L’égotiste est un Narcisse jamais lassé de dire à son reflet : « Je t’ai assez vu ! ». Il lui faut même l’écrire. Obsédé par l’inspection de son nombril, il ne lui reste que l’écriture d’un journal intime, de confessions ou de mémoires. Il y peut faire des phrases, soigner quelques poses, réarranger les événements à son avantage, il y est malgré tout le délateur de soi-même. Véritable miroir d’une dépouille, les écrits intimes fournissent la preuve du peu d’existence de leur auteur. Afin de châtier son crime d’être né, condamné par lui-même aux travaux forcés du style, l’écrivain égotiste relate son agonie et s’enterre vivant sous des monceaux de phrases.

Frédéric Schiffter, « 28 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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