médecin

Pour la gratitude il fut nommé médecin des pauvres.

[…]

Toute la crasse, l’envie, la rogne d’un canton s’était exercée sur sa pomme. La hargne fielleuse des plumitifs de sa propre turne il l’avait sentie passer. L’aigreur au réveil des 14.000 alcooliques de l’arrondissement, les pituites, les rétentions exténuantes des 6.422 blennorrhées qu’il n’arrivait pas à tarir, les sursauts d’ovaire des 4.376 ménopauses, l’angoisse questionneuse de 2.266 hypertendus, le mépris inconciliable de 722 biliaires à migraine, l’obsession soupçonneuse des 47 porteurs de tænias, plus les 352 mères des enfants aux ascarides, la horde trouble, la grande tourbe des masochistes de toutes lubies. Eczémateux, albumineux, sucrés, fétides, trembloteurs, vagineuses, inutiles, les « trop », les « pas assez », les constipés, les enfoirés du repentir, tout le bourbier, le monde en transferts d’assassins, était venu refluer sur sa bouille, cascader devant ses binocles depuis trente ans, soir et matin.

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, Le Livre de poche, p. 24.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2003
lieux

J’ai peur que le livre de Jourda ne me donne une insomnie, comme tous les écrits qui évoquent précisément des lieux quelconques.

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 157.

David Farreny, 30 juil. 2005
saturation

Va, tant qu’il est possible, jusqu’au bout de tes défaites, jusqu’à en être écœuré. Alors, la magie partie, les restes — il doit y en avoir — ne t’abîmeront plus. Voilà comment en sortir, si tu veux en sortir. Si tu y tiens vraiment. Saturation. Avant, tu ne peux rien de définitif, ni par la contemplation ni par la critique. Et après, quasiment plus de problème.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
s’attendre

Autrement dit, vivre, c’est espérer vivre, c’est attendre. S’attendre à vivre.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 44.

David Farreny, 12 mars 2008
vraiment

Vendredi – Tapis d’Orient, paraboles, serviettes de bain, draps à carreaux. Nombreuses les fenêtres sages, mais peu sont vraiment nues.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 20.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
mendiant

Le vrai mendiant d’amour (c’est-à-dire le véritable angoissé) ne veut pas être aimé à cause, mais malgré.

Renaud Camus, « lundi 30 novembre 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 512.

Élisabeth Mazeron, 29 avr. 2010
remuions

Prenons, par exemple, le cours d’expression orale. Elle nous invitait à tourner notre attention vers ce qui se déroulait à l’extérieur, puis à nous en inspirer pour parler. Il y avait rarement plus de deux ou trois élèves dans la classe. Nous marchions jusqu’à la fenêtre, nous nous penchions. Nous observions le ciel marbré de plomb et les monticules de gravats dans les rues défoncées et désertes.

— Vous avez aussi le droit de fermer les yeux, prévenait Sarah Kwong.

Je fermais les yeux, le décor changeait ou ne changeait pas, parfois nous nous retrouvions près d’un fleuve équatorial, parfois nous étions à jamais étrangers à tout, parfois nous remuions lugubrement au-delà du bord de la mort. L’exercice consistait à revenir ensuite devant Sarah Kwong et à poser des questions ou à y répondre.

— Où sommes-nous ? demandais-je.

Sarah Kwong attendait que la question finisse de résonner, puis elle répondait :

— À l’intérieur de mes rêves, Dondog, voilà où nous sommes.

Elle prononçait cela avec une dureté évidente, en me lançait un regard qui ne manquait pas de pédagogie, négateur, comme si mon existence n’avait plus la moindre importance ou comme si ma réalité n’était qu’une hypothèse très sale.

C’est cela qui me déplaisait dans l’école, cette assurance avec quoi on démolissait mes moindres certitudes sur tout.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010
reprise

K. était convaincu qu’Amalia se trompait, Amalia sourit, et ce sourire, bien qu’il fût triste, illumina ce visage si gravement fermé, rendit le mutisme parlant, supprima les distances, livra un secret, livra une possession jusqu’alors gardée qui pouvait bien être reprise, mais jamais complètement.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 663.

David Farreny, 22 oct. 2011
lieu

Lorsque, quelques semaines plus tard, près de Waterbury, Connecticut, je me suis retrouvée seule dans une chambre au design de motel des années 1960 miraculeusement préservé […] je me suis rappelé que c’est dans les chambres étrangères que nous pouvons saisir la sensation la plus juste parce que la plus égarée de notre existence, non pas dans la chambre familière, celle à laquelle j’aspirais à chaque instant de mon voyage – m’y retrouver enfin, m’y couler – mais dans l’espace toujours réfractaire d’un lieu désaffecté qu’on ne parviendra pas à soumettre. Qu’est-ce que je venais faire ici ?

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 53.

Cécile Carret, 16 mars 2012
détours

Puis la femme cria à l’adresse des enfants qui se tenaient détournés l’un de l’autre comme devenus ennemis – le gros garçon plutôt triste : « Hé, les enfants, faites la paix ! »

Le gros garçon sourit, délivré, et tous deux, tête baissée, il est vrai, se dirigèrent par des détours, l’un vers l’autre.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 30 juin 2013
coiffeur

J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.

Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.

Cécile Carret, 30 mars 2014
ouï-dire

(Sans doute l’enfance est-elle enchantée parce que tout ce qu’elle découvre s’est produit avant elle, avant la naissance, parce qu’elle observe les effets dont elle ne connaît les causes que par ouï-dire — et ainsi, en vieillissant, l’on pénètre la nature des choses, l’on voit les maisons se construire, les routes se dérouler sur les landes, les ponts s’élancer au-dessus des rivières, et, le progrès technique accélérant sa marche, dévorant le passé, on en vient à ne plus être entouré que d’objets, de décors, de paysages et d’êtres apparus au monde après nous, dont on a connu l’avènement puis l’ascension, auxquels on réserve cette familiarité qu’on ne témoigne pas aux dieux qui nous ont précédés et instruits.)

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, pp. 21-22.

David Farreny, 20 juil. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer