précarité

Il m’arrive de renoncer aux joies simples de l’existence par dégoût de ma précarité.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 12.

David Farreny, 23 mars 2002
prosaïquement

Sur les murs étaient accrochés ces nouveaux tableaux animés, constamment en mouvement ; il s’agissait de deux machines bidimensionnelles qui se déplaçaient en bruissant doucement, comme le flux d’un océan lointain. Ou, pensa-t-il plus prosaïquement, comme une autofab subsurface. Il n’était pas très sûr d’aimer ça.

Philip K. Dick, Les Clans de la Lune Alphane, Albin Michel, p. 101.

Guillaume Colnot, 23 avr. 2002
moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
explication

Aucune réalité. Seulement leur pirioréalité, leur loloréalité, qui en est une tout à fait fausse, toute morlofausse. Par une extension maligne arriver à englober et diluer et dénaturer le monde entier qui désormais échappe et trompe, voilà leur consigne, qu’ils appliquent. « Applique et complique. »

Sans doute beaucoup d’hommes de par le monde, justement révoltés, s’agitent. De grandes opérations de soulèvement et de révolutions ont lieu en mainte région du globe, mais (étrange tout de même) après quelque temps elles avortent toutes immanquablement et le statu quo ante se rétablit, mystérieusement. Une explication dès lors s’impose. Ce n’étaient que des piriorévolutions sans rien de réel, pirio, piriopolitique. Et tout continue comme par-devant.

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 205.

David Farreny, 9 nov. 2005
vide

Dans la banalité homogène des heures solitaires, mi-laborieuses mi-rêveuses, entre mon lit, ma table de travail et le mur qui me faisait face, je jouissais intimement du caractère profondément répétitif de mes occupations. D’une certaine façon, elles avaient toutes le caractère et le sens d’un rite. C’est ainsi qu’elles s’entouraient de précautions et de préliminaires destinés à me rendre maître d’une zone neutre de l’espace et du temps au-delà de laquelle seulement pouvait se dérouler une action telle, par exemple, que la lecture ou l’écriture ou la mise en ordre périodique de mes documents. En somme, les heures les plus remplies nécessitaient toujours une importante part de vide.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 17-18.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
carpes

Carpes d’un or éclatant, hors de la boue, écailles d’or bordées de noir, nageoires corail, de l’art le plus fin, des couleurs les plus exquises, comme dans l’art sung. Brochets, gardons, truites ; les poissons blancs meurent vite, tournent sur le ventre immédiatement ; les carpes, vingt-quatre heures. Vent nord-ouest glacial. Grand feu de bois, bûches noires, dessous rougeoyant, le haut noyé de fumée bleue. Les camions de marchands de marée arrivent de partout, on pèse (8 F le kilo) au sortir du bac, les chalands viennent tremper leurs doigts dans un seau d’eau chaude posé sur les bûches ardentes. Les tables gluantes grattées par les palettes visqueuses, entre deux arrivées d’épuisettes, lourde chacune de 20 kg de poisson. Odeur fade du poisson d’eau douce, de la vase ; l’eau des bacs bouillonne de vie, d’écume, traversée du saut d’agonie des poissons, sillonnée d’arêtes dorsales, de nageoires roses ou noires, battant l’air. Tous les vingt hommes, dirigés par E., qui travaille de ses mains rouges, allant du canal de dérivation à l’étang qui se vide et se déverse au fond du pré. (Apremont, ce jour.)

Paul Morand, « 11 février 1976 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 727.

David Farreny, 23 sept. 2010
confusion

Je ne savais plus si j’étais Will Scheidmann ou Maria Clementi, je disais je au hasard, j’ignorais qui parlait en moi et quelles intelligences m’avaient conçue ou m’examinaient. Je ne savais pas si j’étais mort ou si j’étais morte ou si j’allais mourir. Je pensais à tous les animaux décédés avant moi et aux humains disparus et je me demandais devant qui je pourrais un jour réciter Des anges mineurs. Pour ajouter à la confusion, je ne voyais pas ce qui s’ouvrirait derrière le titre : un romånce étrange ou simplement une liasse de quarante-neuf narrats étranges.

Et soudain, j’étais comme les vieilles, ahurie par l’interminable. Je ne savais pas comment mourir et, au lieu de parler, je bougeais les doigts dans les ténèbres. Je n’entendais plus rien. Et j’écoutais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 201.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
nitre

Il commençait à faire froid. Parfois, tandis que le jour déclinait, on voyait des flocons grisâtres sortir de terre et déraper en silence à hauteur d’homme, puis disparaître. La maisonnette du régleur de larmes avait l’aspect d’une ruine incendiée depuis des siècles, mais, comme la terre avait été longtemps étrillée par des orages de défoliant et de gaz, la végétation n’avait pas envahi l’endroit. Les ronces étaient chétives, les mûres qui noircissaient parmi les épines avaient goût de nitre. Disons que c’étaient les derniers fruits de l’automne et n’en parlons plus.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 217.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
inopportunément

Non seulement un enfant non voulu quelquefois naît de tes accouplements mais, par la suite, il lui arrive encore de surgir inopportunément quand tu baises.

Éric Chevillard, « mardi 16 juin 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 16 juin 2015

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