domestique

Les domestiques m’ont toujours été terriblement pénibles. Quand j’en vois un le désespoir m’envahit. Il me semble que c’est moi le domestique. Plus il est plat, plus il m’aplatit.

Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 319.

David Farreny, 20 mars 2002
courage

Et malgré tout ce bonheur qui nous entoure, qui nous fait signe, quelqu’un, un jour, a osé parler du courage de vivre. Quelqu’un, un jour, s’est suicidé. […] Tous les charmes que dispensent l’écoulement des jours, et les jeux proposés ici-bas, rien ne résiste à l’ennui, à la fatigue, à l’usure de notre sensibilité. Le temps d’aménager en hâte notre intérieur, et déjà la cloche sonne. Il faut partir. Tout laisser, tout perdre, cette femme que l’on a aimée, cette nature qui nous a bouleversé. Comment ne pas comprendre les milliers d’à quoi bon qui éclatent et s’évaporent dans l’indifférence de l’espace.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 28.

David Farreny, 13 avr. 2002
habitudes

Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.

Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.

David Farreny, 15 juin 2006
routes

Mais enfin, d’une manière générale, j’aurais tendance à appeler vivre décemment disposer de tout ça qui est nécessaire pour n’avoir pas à se soucier du nécessaire : un toit, un peu d’amour, deux ou trois repas par jour, des livres et le goût des livres, la télévision puisque vous y tenez, de la musique, que sais-je, le loisir de prendre la porte de temps en temps, et la route, les routes.

Et le loisir tout court, évidemment, fût-il loisir de travailler ; mais à condition que le travail soit un loisir, pas une triviale obligation d’entrailles.

Ce qui est fâcheux c’est qu’un seul mot, le travail, se mêle de désigner deux types d’activités qui peuvent se ressembler comme deux gouttes d’eau, c’est vrai, de l’extérieur, mais qui à la vérité sont par essence complètement différentes : le travail obligatoire, en somme, celui de la vieille malédiction, celui que l’homme doit fournir, depuis la chute, pour gagner sa vie ; et le travail choisi, élu, le travail pour soi-même, sur soi-même, étude, bricolage, gymnastique, exercice perpétuel, le travail qu’il décide d’effectuer pour dépenser sa vie, au contraire, pour user au mieux de son capital de temps, pour s’acquérir de l’être, toujours plus d’être.

Renaud Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, P.O.L., p. 30.

Cécile Carret, 27 mars 2007
midi

Ensuite il y eut le rêve de revenir à la maison de notre enfance, et de se retrouver dans le silence ininterrompu des champs et des bois. Midi passe sans commentaires. À La Bourboule, midi était fait de carillons, du silence des rues, et des bruits multiples, contradictoires, de la vaisselle et des repas qu’on servait dans les grandes salles claires, sous les paupières à demi baissées des stores et des tentures à franges. Ici, midi n’est qu’une heure qui sonne, gaiement là-bas dans la cuisine, et à mi-voix, finement, dans la fraîcheur du salon vide. Nous ne savions plus quoi faire. Le ruisseau, les courses dans les bois, c’était un passé trop récent pour que nous eussions plaisir à le revivre.

Valery Larbaud, « Enfantines », Œuvres, Gallimard, pp. 490-491.

David Farreny, 15 avr. 2008
dégoût

Donc, tu ne dois pas penser que je renie ceci ou cela, je suis un espèce de fidèle dans mon infidélité, et quoique étant changé, je suis le même, et mon tourment n’est autre que ceci : à quoi pourrais-je être bon, ne pourrais-je pas servir et être utile en quelque sorte, comment pourrais-je en savoir plus long et approfondir tel et tel sujet ? Vois-tu, cela me tourmente continuellement, et puis on se sent prisonnier dans la gêne, exclu de participer à telle ou telle œuvre, et telles et telles choses nécessaires sont hors de la portée. À cause de cela on n’est pas sans mélancolie, puis on sent des vides là où pourraient être amitié et hautes et sérieuses affections, et on sent le terrible découragement ronger l’énergie morale même, et la fatalité semble pouvoir mettre barrière aux instincts d’affection, et une marée de dégoût qui vous monte. Et puis on dit : «  Jusqu’à quand, mon Dieu !  »

Vincent van Gogh, « Le Borinage, juillet 1880 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 99.

David Farreny, 15 juin 2009
savait

On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.

Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.

David Farreny, 26 août 2010
telle

Je préfère ce que dit Céline : quand on est arrivé au bout de tout et que le chagrin lui-même ne répond plus, alors il faut revenir en arrière parmi les autres, n’importe lesquels. Wanda au terme de son périple est assise, un peu tassée, sur une banquette au milieu des autres. L’image se fige, granuleuse, imparfaite. Wanda. Simplement une parmi les autres. Telle, dans le monde ainsi qu’il est.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 149.

Cécile Carret, 16 mars 2012
croie

Pauvre Raphaël ! Comme s’il n’avait jamais entendu parler de la progression formidable, dans les statistiques, des familles monoparentales ! Toujours est-il qu’il venait d’avoir le premier et il se trouvait là, dans mon bureau, regard fixe, épuisé, halluciné, fébrilement dépassé par la situation, crevé et comblé. « Tu ne peux pas savoir… » Il n’arrêtait pas de se répéter. « Tu ne peux pas comprendre… Il n’y a que ceux qui sont passés par là qui sentent le phénomène… Un truc fabuleux… » Il était métamorphosé. Il essayait, de tout le désespoir en lui dont il ne se doutait pas un instant, de me faire saisir quand même à quel point je n’étais pas dans le coup du bonheur dans lequel il était persuadé de me faire croire qu’il baignait. Une joie inouïe, incommunicable. Une révélation. Il était là, lui, initié, sortant d’un mystère intraduisible et transfigurant. Il voulait que j’y croie. Sinon sa félicité n’aurait pas été complète.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, p. 92.

David Farreny, 5 déc. 2012

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