gras

Allez la bagnole est en raque. On lui ouvre le ventre

et toute la famille est plongée en contemplation

devant le mystère gras et noir des organes en panne

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 69.

David Farreny, 21 mars 2002
vérité

D. un soir à Montluçon, of all places, au dos de la reproduction d’une icône (car la vérité n’a aucun souci de vraisemblance) : « Thanks for a beautiful day. On souviendra… ». Ce qui déchire le cœur et les années, c’est la faute de français.

Renaud Camus, « vendredi 13 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 501.

David Farreny, 9 août 2005
écorchées

Il y avait les ouvrages de géographie aux couleurs fallacieuses et suaves, les plaines roses et les monts outremer, les départements jaune soufre et les archipels de neige, un traité de mécanique en trois tomes illustré de gravures sur acier, pourvu de dépliants qui s’ouvraient, comme des ailes, sur des steamers en coupe et des locomotives écorchées, un volume d’anthropologie montrant les insulaires des Salomon et les nomades du Kalahari qui nourrissait mes lectures d’évasion, et puis les volumes aux plats ornés d’un buste de la République aux yeux étincelants, de drapeaux, d’astérisques aux branches aiguës, inégales, dorées, représentant des explosions.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 21-22.

David Farreny, 21 oct. 2005
paie

Être seul, se débrouiller seul devient un tour de force inattendu… réalisé avec dégoût. Période est venue où la Solitude se paie.

Henri Michaux, « lettre à Vincent de la Soudière (3 septembre 1980) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. LXX.

David Farreny, 21 oct. 2005
combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
magot

Si c’était la solitude que j’étais venu chercher ici, j’avais bien choisi mon Île. À mesure que je perdais pied, j’avais appris à l’aménager en astiquant ma mémoire. J’avais dans la tête assez de lieux, d’instants, de visages pour me tenir compagnie, meubler le miroir de la mer et m’alléger par leur présence fictive du poids de la journée. Cette nuit-là, je m’aperçus avec une panique indicible que mon cinéma ne fonctionnait plus. Presque personne au rendez-vous, ou alors des ombres floues, écornées, plaintives. Les voix et les odeurs s’étaient fait la paire. Quelque chose au fil de la journée les avait mises à sac pendant que je m’échinais. Mon magot s’évaporait en douce. Ma seule fortune décampait et derrière cette débandade, je voyais venir le moment où il ne resterait rien que des peurs, plus même de vrai chagrin. J’avais beau tisonner quelques anciennes défaites, ça ne bougeait plus. C’est sans doute cet appétit de chagrin qui fait la jeunesse parce que tout d’un coup je me sentais bien vieux et perdu dans l’énorme beauté de cette plage, pauvre petit lettreux baisé par les Tropiques.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 123-124.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
raté

Trouvé sous la porte de l’atelier un coin de papier journal griffonné avec un prénom presque illisible, mais qui n’était pas le mien et un nom qui, à une lettre près, me désignait. Écriture troublante de mage ou d’analphabète. Est-ce que j’aurais raté une annonciation ?

Gérard Pesson, « lundi 22 janvier 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 223.

David Farreny, 27 mars 2010
inaugure

Le repas s’est poursuivi dans une ambiance moyenne, qu’alourdissait vaguement le silence des Jordan. De mon côté, je filais un mauvais coton avec Agnès. La vérité est que je me révélais sensible à son regard mouillé, à sa tristesse et à la manière dont, apparemment, y compris dans les moments difficiles, elle persistait à mettre en valeur ses seins comme s’il s’était agi d’une ligne de front en deçà de quoi elle s’interdisait de reculer quelles que soient les circonstances. Ou bien, ai-je songé, les chemisiers qu’elle porte, dont le boutonnage s’inaugure très bas, sont chez elle une vieille habitude vestimentaire et elle n’y pense même pas, mais cette absence à soi m’excitait tout autant. Il faut que j’en tienne compte, me suis-je dit, et j’ai cru que, pour la première fois depuis mon départ, je me sentais vivre.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 148.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
corrélations

Un rêve bref, au cours d’un sommeil bref et crispé auquel je m’accrochais convulsivement dans un bonheur immense. Un rêve aux ramifications multiples contenant mille corrélations qui, d’un seul coup, s’éclairaient en même temps. Ce qui m’en est resté est à peine le souvenir du sentiment qui formait le fond.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 513.

David Farreny, 9 nov. 2012
marcher

Traverser un jardin, ce n’est pas marcher.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
film

Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.

Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
activiste

Fin des années soixante-dix, l’agitation bat encore son plein et j’ai toujours du mal à me secouer. Pendant qu’on défile dans les rues, j’erre, désœuvré, dans les allées des librairies. Là aussi la contestation occupe les rayons. S’y étalent pêle-mêle la libération orgasmique, l’émancipation féminine, l’anti-psychiatrie, l’anti-impérialisme, ou encore la revendication de droits pour les minorités de toutes sortes, ethniques, culturelles, sexuelles. En feuilletant ces manifestes en faveur de tant de causes, j’ai confirmation que la mienne demeurera indéfendable. Quel intellectuel apportera sa caution à un activiste de la sieste ?

Frédéric Schiffter, « Debord existe, moi non plus », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

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