horizon

Les Arpèdres sont les hommes les plus durs et les plus intransigeants qui soient, obsédés de droiture, de droits et plus encore de devoirs. De traditions respectables, naturellement. Le tout sans horizon.

Têtes têtues de bien-pensants, poussant en maniaques les autres à s’amender, à avoir le cœur haut.

Quelle inondation de joie chez tous leurs voisins quand une guerre générale leur fut déclarée, guerre injuste entre toutes !

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 44.

David Farreny, 13 avr. 2002
résistance

Or rien de tout cela, j’en suis maintenant persuadé, n’est l’effet d’accidents, de malveillance ou de malchances ponctuelles. Non, c’est écrit. C’est écrit dans mon tempérament, dans ce qui fait mes rapports avec la réalité, dans les limites de mes talents ; comme sont écrites aussi, heureusement, une curieuse obstination, qui fait mon infortune, sans doute, mais qui fait aussi ma résistance à ses piques : une inlassable curiosité du monde ; une splendide obsession sexuelle ; et une paradoxale joie de vivre.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 351.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
trop

Elle était bonne et elle croyait en Dieu. Je me rappelle qu’un jour, pour me dire la grandeur de l’Éternel, elle m’expliqua qu’il aimait mêmes les mouches, et chaque mouche en particulier, et elle ajouta J’ai essayé de faire comme Lui pour les mouches, mais je n’ai pas pu, il y en a trop.

Albert Cohen, Ô vous, frères humains, Gallimard, p. 16.

Bilitis Farreny, 22 avr. 2008
pyrotechniques

Il est d’ailleurs très bien ce bus, pour autant qu’on ne se laisse pas prendre à la somnolence affectée des tire-laine professionnels qui sont de tous les trajets. Tandis que les rivages célébrés par Thomas Cook vous absorbent, votre montre s’évanouit, votre portefeuille se volatilise, le contenu de votre gousset se transforme en fumée et parfois soi-même on s’envole car depuis quelques semaines ces jouets explosifs font fureur. Les bonzes les dissimulent dans leur robe jaune à grands plis, les déposent à l’hypocrite dans le filet à bagages et descendent à l’arrêt suivant, l’air confit en méditations, juste avant l’apothéose.

Lorsqu’on arrive avec le bus suivant sur le lieu d’une de ces fêtes pyrotechniques, il faut voir alors les valises aux tons d’ice-cream et les parapluies à bec semés à la ronde, parfois même accrochés aux palmiers, les grands peignes à chignon soufflés bien loin des têtes qui n’en auront plus l’usage, et les blessés en sarong carmin, violet, cinabre, merveilleuses couleurs pour descente de croix, alignés au bord de la route étincelante de verre pilé où deux flics les comptent et les recomptent en roulant des prunelles. Au milieu de la chaussée, une paire de lunettes rondes à monture de fer est cabrée, les branches en l’air, l’air mécontent, grand insecte irascible et fragile à la recherche d’un nez envolé le Diable sait où.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 50-51.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
justesse

Le bonheur actuel n’adoucit pas du tout la tristesse rétrospective de ces longues années-là, années d’extrême solitude. Au contraire il la fait paraître plus sombre, plus tragique, plus vaste. C’étaient des années tout à fait sans butoir. Rentrant chez moi je ne rentrais vers rien, alors. Je rentrais vers l’attente de la mort. Mais la mort elle-même n’était pas un butoir. Je suivais la même route en pente entre les bois ; j’apercevais tout un pays en contrebas, ou plutôt je n’en distinguais que les lumières éparses, deux ou trois petites villes, des fermes isolées, les lampadaires brillants de l’affreux dépôt Intermarché ; je savais que dans toute cette ombre et parmi ces lumières il y avait ma maison, mais ma maison n’arrêtait rien, elle n’arrêtait pas ma descente, ma mort même n’interrompait rien, sans doute parce que ma vie elle-même n’était rien. Je comprenais à merveille le mot au-delà, peut-être parce qu’il n’était l’au-delà de rien. J’entrevoyais de mornes années, mais pas beaucoup plus mornes, au fond, que le néant. Je rentrais chez moi, chez moi c’était la mort, je ne m’y arrêtais pas, j’allais directement au-delà, me perdre dans cette ombre à l’infini où je me trouvais déjà et que je voyais s’étendre de toute part derrière Plieux invisible, à perte de vue, à perte d’obscurité.

Si, ce qu’à Dieu ne plaise, je me retrouvais dans une situation pareille, il me semble que je ne ferais plus rien pour lui échapper ; qu’au contraire je m’efforcerais de la creuser, de l’habiter plus avant, plus profond ; de l’explorer en la sachant inexplorable. C’est du moins ce que je crois qu’il faudrait faire, même si je ne suis pas sûr que j’en aurais la force. Sa beauté, sa grandeur, sa majesté, sa justesse même, la lucidité qui y est attachée, m’apparaissaient clairement l’autre nuit. Je donnerais n’importe quoi pour n’y être pas confronté à nouveau ; mais s’il se trouvait par malheur que je le fusse, je ne me débattrais pas, je ne tâcherais pas d’échapper à mon sort, j’essaierais de me confondre avec lui.

Renaud Camus, « mardi 1er mars 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, pp. 132-133.

David Farreny, 15 janv. 2009
dehors

C’est cette nuit-là que je me suis dit que si je m’éloignais encore plus, alors je nous verrais du dehors, où résidait notre meilleure part, et même si ce que je découvrais de ce point de vue, se ramenait à rien, du moins posséderais-je une certitude.

Le moment était venu où je pouvais me tenir quitte des réclamations du passé lorsqu’il est resté en suspens, des vœux inconsidérés qu’ont faits les disparus. J’avais un an de plus, ou de moins, s’agissant de la vie mienne qui attendait plus bas que je la rejoigne.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 11 mai 2010
découvert

Mais il y a un temps pour les renaissances et un temps pour le renoncement. Maintenant les mots simples, les considérations de bon sens et la sagesse toute faite qui m’importunaient tant quand j’étais plus jeune (« ce n’est plus de ton âge ; si jeunesse savait ; un temps pour chaque chose ; si jeunesse pouvait ») s’imposaient à moi physiquement. […] Il ne me restait plus qu’à affronter à visage découvert, sans dérobade et sans illusion, la dernière échéance, celle qui ôtait tout sens au terme même de solitude. Il n’était plus temps de s’arrêter sur le bord du chemin. Pour la première fois de ma vie, j’ai résisté à l’illusion du recommencement.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 122.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
percé

Entre femme et homme depuis peu l’hostilité s’est installée. Hommes et femmes sont de nos jours sans exception brouillés. Moi, par exemple, depuis bien longtemps, c’est à peine si j’ai un ennemi — et, quant à moi, cela ne peut plus être le cas —, mais s’il y en a un, c’est une femme. Non seulement on ne nous aime plus, mais on nous combat. Et si l’amour entre en jeu il ne sert plus qu’à entretenir la guerre. Tôt ou tard la femme qui t’aime sera d’une façon ou d’une autre déçue par toi, et tu ne sauras même pas pourquoi. Elle t’aura, comme elle va l’expliquer, percé à jour, mais sans te dire en quoi elle t’a percé à jour. Et à aucun moment elle ne te laissera oublier que tu es percé à jour, car elle ne te laisse presque jamais seul, en tout cas bien moins qu’auparavant dans le jeu de l’amour. Elle est continuellement présente, c’est à peine si tu peux encore échapper au mal qu’elle pense de toi. Toi-même tu ne te penses pas en hâbleur, menteur et tricheur, et tu aimerais être un homme bon, comme à votre début. Mais tu es contraint de te voir comme tout cela dans et par ses yeux, qui à partir de maintenant ne te lâchent plus, et dans lesquels, quoi que tu fasses ou ne fasses pas, ce sera une confirmation de sa mauvaise opinion et de son amère déception. Fais ce que tu veux : tu es et restera celui qui est percé à jour.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 119-120.

David Farreny, 19 fév. 2014
redondance

Si l’on ouvre au hasard l’une des études sur Kafka parues depuis les années 1950, il est presque incroyable de voir à quel point elle s’est couverte de moisi et de poussière, cette littérature secondaire existentialiste, théologique, psychanalytique, structuraliste, post-structuraliste, fondée sur l’esthétique de la réception ou la critique systémique, à quel point chaque page résonne du cliquetis fastidieux de la redondance.

Winfried Georg Sebald.

David Farreny, 8 juil. 2014
loi

C’est une loi pénible : plus les femmes sont belles et plus je suis laid.

Éric Chevillard, « dimanche 25 juin 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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