grotesque

La philosophie est indispensable à l’homme. Un adulte sans philosophie est grotesque. Il faut savoir trouver son chemin vers elle. Courage et perspicacité.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 165.

David Farreny, 13 avr. 2002
intérêt

Quand la vérité n’a pas grand intérêt, le mensonge est légitime.

Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, p. 57.

David Farreny, 14 avr. 2002
moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
mobiles

Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.

David Farreny, 11 sept. 2004
attention

La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.

David Farreny, 26 déc. 2006
finitude

Les plus beaux rêves, les plus nécessaires et décisifs, c’est sous bois, les yeux ouverts, et conscient, au plus haut point, de rêver, que je les ai faits. Bien sûr, dira-t-on, quelle image n’est merveilleuse lorsque tout est oblique, mouillé, décevant ? À cela, je répondrai qu’on n’est peut-être pas aussi regardant qu’on pourrait l’être quand les choses sont bonnes ou simplement passables. On n’y voit pas malice. On prend ce qui se présente sans chercher au-delà et l’on s’expose ainsi à méconnaître ce qui était meilleur et qu’on aurait trouvé un petit peu plus loin. On n’est peut-être qu’à moitié fortuné lorsqu’on a la faveur de la fortune. Parce que notre lot, c’est la finitude, que le bon qu’on a touché n’est certainement pas le parfait, dont c’est notre droit de supposer qu’il fleurit quelque part, qu’il règne, à charge, pour nous, de marcher vers lui à travers les taillis de la réalité. De sorte que la plus haute faveur résiderait, presque, dans la pire disgrâce. On va la repousser, ou elle nous, avec une telle vigueur qu’à l’opposé surgira son contraire, son image immatérielle, incertaine, son idée, d’abord, dans la bigarrure du sous-bois, puis, si l’on a fait ce qu’il faut, son corps hésitant, son visage de chair, sa présence même.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 36.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
bruire

Une fois, l’autre m’a dit, parlant de nous : « une relation de qualité » ; ce mot m’a été déplaisant : il venait brusquement du dehors, aplatissant la spécialité du rapport sous une forme conformiste.

Bien souvent, c’est par le langage que l’autre s’altère ; il dit un mot différent, et j’entends bruire d’une façon menaçante tout un autre monde, qui est le monde de l’autre. […] Le mot est une substance chimique ténue qui opère les plus violentes altérations : l’autre, maintenu longtemps dans le cocon de mon propre discours, fait entendre, par un mot qui lui échappe, les langages qu’il peut emprunter, et que par conséquent d’autres lui prêtent.

Roland Barthes, « Altération », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, pp. 34-35.

Élisabeth Mazeron, 7 déc. 2009
société

En s’employant par la représentation de la culture à « faire revivre ce qu’il y a de grand dans les morts et dans les grands morts » selon la belle formule d’Alain, l’école niait l’évidence, c’est-à-dire l’identification de l’humanité avec la société visible, vivante et tourbillonnante.

Cette laïcité est hors d’usage. Cette représentation a sombré dans l’anachronisme. Ce qui est désormais tenu pour laïque, c’est la désacralisation de la vie de l’esprit et la détermination par nous tous des contenus de la culture. À l’instar du dictionnaire, l’école se rend donc à l’évidence. Là comme ailleurs, l’humanité et la société ne font plus qu’un.

Alain Finkielkraut, « L’adieu laïque au principe de laïcité », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 20.

David Farreny, 25 janv. 2010
lieu

La difficulté, que je pouvais pressentir, mais qui a surgi d’un coup avec une force renversante, poignante, c’est le sentiment de solitude absolue. J’ai beau me raisonner, me rappeler tous les propos que j’ai pu tenir aux uns et aux autres sur le plaisir réel que j’éprouvais à me sentir seul, je dois bien me rendre à l’évidence du mouvement de panique qui m’a traversé le corps, lundi soir, quand j’ai compris que je n’avais plus de lieu auquel me raccrocher, que j’avais rompu les amarres et ne pouvais en parler à personne, que je dérivais au hasard, balloté par des courants inconnus, entre livres d’occasion et objets perdus. La perte du lieu, c’est comme la perte d’un autre, du dernier autre, du fantôme qui vous accueille chez vous lorsque vous rentrez seul. Mardi et mercredi, j’ai eu des comportements erratiques. Mardi, j’ai couru place Saint-Sulpice voir les anciens collègues.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
négative

Nous pouvons être d’avis qu’il y a de l’entendement dans le comportement des étoiles les unes par rapport aux autres ; mais elles relèvent de la répulsion morte. […] L’armée des étoiles est un monde formel, parce que seule cette détermination unilatérale dont il vient d’être question s’y fait valoir. […] On peut vénérer les étoiles en raison de leur calme, mais elles ne sont pas à mettre, quant à la dignité, au même rang que l’être individuel concret. Le remplissement de l’espace est l’éruption d’une multitude infinie de matières, mais c’est là seulement la première éruption à pouvoir divertir le regard. Cette éruption de lumière est aussi peu digne d’admiration qu’une éruption en l’homme ou que la multitude des mouches. Le calme de ces étoiles intéresse l’âme de plus près, les passions s’apaisent lorsqu’on intuitionne ce calme et cette simplicité. Mais ce monde n’a pas, quand on se tient au point de vue de la philosophie, l’intérêt qu’il a pour la sensation. Qu’un tel monde s’étende en tant que multitude dans des espaces incommensurables, cela ne signifie absolument rien pour la raison ; c’est ce qui est extérieur, vide, l’infinité négative.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 375.

David Farreny, 28 fév. 2011
forêt

Avons-nous avancé assez dans l’apparence

assez vu cette vie couler, couleur de vitre,

nous nous sommes blessés aux choses d’outre-monde

portes fermées, ô visions —

c’est la même chanson stupide et décevante

le même espoir avec des sources dans la voix

la même inexplicable envie d’un sanglot

dont on ne sait que faire.

Tous ces cheveux tombés et ces cils et ces ongles

laissés derrière nous, veux-tu qu’on s’en souvienne,

La nuit est là. Le monde meurt,

et la forêt est pleine de craquements nouveaux.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 252.

David Farreny, 3 juil. 2013
sortis

J’observais les couples qui tournaient avec tant de sérieux, d’attention, de sûreté sur le parquet de danse avec un frisson d’étonnement, de respect même, comme s’il s’agissait de la vénération d’un mystère. Cette jeune femme qui se mouvait avec tant de dignité était pourtant bien la même qui autrefois sautait, sur une seule jambe, par-dessus les limites, tracées à la craie, du ciel et de l’enfer ? Et il n’y avait pas longtemps que celle qui, à pas mesurés, soulevant légèrement sa robe, gravissait les marches de l’estrade nous avait, dans un pâturage, montré son sexe d’enfant sans poils ! Avec quelle rapidité ils étaient sortis des enfantillages et me regardaient littéralement de haut en bas !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 41.

Cécile Carret, 3 août 2013
enfançons

Les parents de Lucie avaient craint le pire, étaient accourus de leur fief de province très cossue, avaient délibéré au chevet de l’enfant merveilleuse, seule fille inventée à la coda d’un quintette de fils très aînés, tous établis plus que bourgeoisement et nantis de mirifiques professions, d’épouses divines, d’enfançons idéaux, fils chargés, bourrés à craquer comme navires fabuleux de maintes promesses d’avenir.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 55.

David Farreny, 30 août 2013
psychanalyse

Mais, plus radical encore que Freud, Wittgenstein saisit immédiatement par où pèche la psychanalyse : elle flatte trop le narcissisme. Les explications qu’elle propose sont d’autant plus attrayantes qu’elles sont à première vue plus choquantes. « C’est peut-être, confie-t-il à l’un de ses amis, le fait que l’explication est extrêmement repoussante qui vous pousse à l’accepter. » Et, plus que quiconque, il est sensible au jeu incessant de la mélancolie et du besoin de consolation, à l’exigence de l’idéal et au besoin d’être trompé, à la dialectique subtile entre la croyance et la désillusion…

Sur le charme des profondeurs, Wittgenstein a cette formule ironique : « Les gens y trouvent un dédale dans lequel s’égarer. » Dans ce type d’explications, le mystère tient lieu de réponse. Plus proche de Kraus que de Freud, il estime que toute la fécondité de la psychanalyse peut être éprouvée à condition de convenir que Freud n’a rien inventé ; la psychanalyse ne relève pas de la science, mais de l’esthétique : Freud ne nous apprend rien, mais nous fait voir ce dont on ne s’était pas avisé jusque-là. Selon Wittgenstein, la bonne explication psychanalytique n’est rien de plus (ni de moins) qu’un tableau réussi. La réaction au tableau est en ce sens constituante de son effet esthétique, puisqu’il résout la perplexité du destinataire.

Roland Jaccard, « Le dicible et l’indicible », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 52-53.

David Farreny, 6 déc. 2014

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