époque

Je sais bien que tout homme pensant tient son époque pour la plus misérable, mais je dois avouer que je ne suis pas exempt de cette illusion.

Arthur Schopenhauer, Petit bréviaire cynique, texte inédit publié par le Magazine littéraire, numéro 328.

Guillaume Colnot, 6 janv. 2004
temps

Freins. De plus en plus de freins. Je mets du temps, beaucoup de temps dans ma stupeur pour remarquer ma stupeur.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 925.

David Farreny, 26 juin 2004
volition

Il est rare qu’un homme puisse regarder une journée entière, du lever au coucher, sans céder au besoin irrépressible de l’acte. Non seulement ne pas y céder mais s’en défendre absolument : ne rien faire du tout. Ne pas sortir bien sûr, écarter toute tentation ludique ou culturelle ou utilitaire, ne voir personne. Quelque chose comme tenir compagnie aux heures, pour voir ce qu’il y a quand il n’y a rien. Cela en toute liberté, hors claustration clinique ou carcérale. J’y parviens pour ma part assez bien. — Y aurait-il dans cette assertion comme une bravade… — Eh, sans parler d’une expérience de l’extrême, l’affaire mérite attention. Appartenir à l’espèce la plus agitée qui soit et ne plus bouger : défi immense que je suis presque seul à relever par la seule volition, entre deux mictions, un repas frugal sur un coin de table et une fermeté quasi héroïque face à toute sollicitation érotogène.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 94.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
sauvé

Lorsque avec Algren elle découvre le monde underground de Chicago, lorsque avec lui elle a une vie commune dans la petite maison de Wabansia, ce ne sont pas seulement des expériences où on se livre plus ou moins ; ces rencontres l’affectent profondément. Elles sont la couleur même de la vie ; elles participent à cette construction d’un «  moi  » qui ne s’arrête qu’avec la mort. Comme chaque fois, elle y est tout entière engagée. Mais comme chaque fois il faut les «  reprendre dans la liberté  » : décider ce qu’on en fait ; les assumer ou les contester. Leur trouver une place — trouver leur place — dans cette création continue qu’est l’existence. C’est ce qui donne à ces lettres une tension, une émotion palpables : à chaque instant le Castor joue sa vie. Rien de moins. Chaque moment qu’elle vit est un moment destinal ; à chaque rencontre qu’elle fait, tout son être est en alerte : tout peut basculer, tout peut être anéanti : tout peut être sauvé.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.

Élisabeth Mazeron, 21 mai 2009
remplacions

Pendant des semaines, je n’ai mangé que des liserons d’eau, qui est aussi la nourriture des cochons. J’ai aussi été celui qui mange des épluchures.

Je me souviens avoir vu, sur d’autres images d’archives, des cochons se promener dans la Bibliothèque nationale de Phnom Penh, vidée par les Khmers rouges. Ils bousculaient des chaises et piétinaient des épluchures. Les cochons remplaçaient les livres. Et nous remplacions les cochons.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 84.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
prix

Avec un sentiment.

Un curieux sentiment.

Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.

Quoi encore ?

Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.

Lui seul peut décider de la prendre.

Quelle jouissance, quand même.

Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.

Tu paieras pas plus cher.

On ne s’entend jamais sur le prix.

Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.

Il y va. Il prend son sac et il y va.

Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.

Cécile Carret, 4 mars 2012
sens

Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais, dans les beaux livres, tous les contresens qu’on fait sont beaux.

Marcel Proust, « Conclusions », Contre Sainte-Beuve, Gallimard.

David Farreny, 12 sept. 2012
inverse

Cracovie, où les cuisses miraculeuses s’ouvrent !

Cracovie, c’est l’espionne au poteau d’exécution !

Mais les soldats ne tireront pas.

Sa furie a désemparé la grossière mécanique du temps.

Les hommes recommenceront la vie en sens inverse,

L’officier redeviendra sperme au delta putride de sa mère.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 63.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013

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