illusion

Le soir avait pris possession de la cuisine, noyé les angles, dénaturé les choses familières au point qu’elles restaient insolites, étrangères, même lorsque je m’efforçais de reconstituer l’apparence qu’elles auraient eue si ce n’avait pas été la nuit, s’il ne s’était pas fait ce silence inquiet qui prélude à la dispersion. Ceux qui restaient encore, dans la grande salle, devaient percevoir comme la sournoise indifférence des choses auxquelles on demande, et de qui l’on reçoit ou croit recevoir un peu de la constance, de la patience qu’on leur voit face au temps. Comme si ce que nous appelions la maison rose, l’évidence immémoriale de la chair et du temps, le secret berceau de la création nous trahissait tous, dénonçait dans l’ombre l’illusion que c’était de croire que nous étions au monde.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 100.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
confirme

Jadis en Argentine, il m’est arrivé de naviguer sur le haut Parana — fleuve aux méandres largement étalés — accueillant en moi avec un sentiment de tension atroce des paysages que chaque tournant du cours d’eau renouvelait — comme s’ils avaient pu m’affaiblir ou me rendre plus puissant, et ce n’est pas autrement que, durant les longues années de mon travail littéraire, je scrutais du regard le monde, cherchant à savoir si mon Temps me confirme ou au contraire m’abolit.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 3 mars 2008
faintly

My Hand delights to trace unusual Things,

And deviates from the known, and common way ;

Nor will in fading Silks compose

Faintly th’ inimitable Rose.

[Ma main s’enchante à suivre des choses singulières,

À s’écarter des voies connues et coutumières,

Et ne veut, en des soieries fanées, former,

Imprécise, l’inimitable rose.]

Anne Finch, comtesse de Winchilsea, « The spleen », Miscellany poems, on several occasions, John Barber, p. 92.

David Farreny, 27 sept. 2008
enclenchai

Et comme de coutume, j’enclenchai impitoyablement la réflexion suivante : qu’est-ce qui te serait à présent le plus désagréable ? ! Je me répondis promptement : s’habiller et sortir se promener. – C’est donc ce que je fis. ; avec la grosse écharpe autour du cou ; les mains dans les moufles : je suis prudent.

Arno Schmidt, « Les Prudents », Histoires, Tristram, p. 80.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
assez

Ce n’est pas une esthétique du pauvre, c’est un fait : la vie est pauvre. Mais on aurait tort de penser que le ras est sans profondeur. Il y a bien assez de combinaisons dans le très peu pour que l’on continue à jouer au 4-21 avec trois dés.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.

Cécile Carret, 4 mars 2010
cassable

Je ne souhaite la mort de personne, mais pour Z., il serait temps de disparaître, en beauté ; comme j’ai dit à S., « elle n’a pas su blanchir » (comme tant de blondes). Elle en est au toupet roux et aux fausses dents. Elle se minéralise, de plus en plus cassable.

Paul Morand, « 1er janvier 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 10.

David Farreny, 7 août 2010
français

Les objets français contribuaient à me rassurer, ils avaient quelque chose de grêle, de gai, de moins « sérieux » que les objets allemands. Les bicyclettes par exemple étaient fines et légères, elles ressemblaient aux allumettes. Les autos paraissaient plus hautes sur pattes, on eût dit de vieilles dames de bonne famille. Il y avait en France des barrières de ciment qui imitaient les troncs d’arbres avec nœuds dans le bois et écorce et des allumettes qui s’enflammaient quand on les frottait sur le pantalon. Les pièces de monnaie avaient un trou au milieu. C’était un peu comme en Italie, tout semblait plus maigre, plus alerte, plus rapide qu’en Allemagne.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 171.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
route

C’est l’heure où l’odeur qui vient de l’allée des tilleuls fait vaciller la lumière. Mais la diligence encense et grogne. Il faut prendre la route où la chaleur arrive par le courrier de dix heures quand les premiers papillons Vulcain posent leur écharpe le long des fossés. D’ici là j’ai tout le temps de m’arrêter aux premiers villages bleus d’enclumes, de revoir quelques cousins dans des maisons à sapins et à grilles… Que la paix descende sur moi et qu’on ne me reparle plus de cette immense aventure de vivre. Et que, dans la ruelle d’un étrange demi-sommeil prophétique, j’entende la douce voix du calme chuchoter quelque part  : Laissez-le.

Léon-Paul Fargue, « La gare abandonnée », Poésies, Gallimard, p. 64.

Guillaume Colnot, 1er fév. 2013
va

Le temps passe. Nous le croisons. Il va d’un pas pressé répandre nos cendres dans le passé.

Éric Chevillard, « vendredi 18 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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