Le nom. Je cherchais des noms et j’étais malheureux. Le nom : valeur d’après-coup, et de longue expérience.
Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 151.
Il m’arrive de renoncer aux joies simples de l’existence par dégoût de ma précarité.
Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 12.
Veuillez ne pas régler mon visage
Le défaut est en moi
Ma bouche est une forêt après l’incendie
Mon cœur un petit squelette de poisson
Elles sont belles ces cicatrices
C’est mon visage
La mort est le récit de la mort
La tête qui tombe de la guillotine pense
« Ce n’est qu’un instant »
L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés
Ensuite c’est la monotonie intense
Tel un disque rayé
rayé
rayé
Quand il n’y a pas de mouvement dans les verts, la lumière claque plus fort sur le mur blanc.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 24.
Tu restes toujours là à portée de ma main sur ton visage — qui avance à la rencontre de mon regard, de ma peau du souffle, attente de cette rencontre-là, tangage et coups rapides dans mon sang. Isolement dans l’espace de mon visage, qui me précède vers toi. Dans l’air suspension — visage qui s’approche, possible là sans limite. Tout l’obscur remonte à tes lèvres, vient affleurer au bord des dents, marées montantes qui me soulèvent entre des masses glissantes. Impuissance, ou mollesse, ou dureté trop grande pour évacuer tes éclosions profondes. Durée infinie dans cette approche avant de t’inscrire dans mon visage. Jamais plus cette densité-là, plus tard, ce contenu immense de brouillard. Confusion tragique perdue.
Danielle Collobert, « Dire I », Œuvres (1), P.O.L., p. 189.
Déjeuné à Pietro Ligure, par temps superbe, dans un château fort énorme, en ruine, du XVIe. Bœuf parfait. Rentré par l’autoroute à 140, perforant les tunnels à 100 ; me sentant comme balle dans un canon de fusil.
Ce qui tuera le communisme, c’est l’absence de fantaisie.
Paul Morand, « 26 avril 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 505.
Le jour est bientôt là, puissant, d’une implacable blancheur qui me fera me tendre tout entier vers la nuit — cette nuit que j’espérais trouver presque totale, en ce mois de février, et qui eût été, un mois plus tôt, la dimension nocturne du jour.
Au moins, dans cet appartement, ai-je en plein jour le silence de la nuit.
Même Katrina et sa sœur, conversant en estonien, au salon, me donnent l’impression de remuer du silence.
Je suis condamné à écouter.
Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 32.
J’avance pour serrer la main de Madame B. quand mon visage se fige : ce n’est pas elle, seulement une vague remplaçante de ce même nom. Je vois, de plus, que sa face se crispe autant. N’est-ce donc pas moi non plus ?
Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 115.
Et, que cela ne mène qu’aux terres inhumaines,
qu’aux ports désaccordés comme de vieux pianos
et qu’il faille carder, sur des métiers nouveaux
la trame usée du même…
Qu’il ferait bon téter ton lait sauvage, ô vie,
que des clous seraient bons pour raviver le sang
qu’une tempête serait bienvenue, violente,
une tempête, une émeute.
J’ai soif de toi, échevelée,
pendant que mon œil fuit
le blanc vol de mouettes
douces comme un sanglot irréel de la chair.
Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 28.
L’enfant est une inhibition active. Il empêche le réveil complet, c’est-à-dire la mort de l’espèce. Les théologiens n’osent pas le dire, mais ils voudraient ce réveil total, entraînant le Jugement logique. L’enfant fait durer. Il n’y a pas plus antithéologique que l’enfant. Il est là aussi pour cacher qu’il n’y a pas eu de rapport sexuel. Tout cela est très clair : si je suis avec une femme et que je n’ai pas eu d’enfants, c’est qu’il y a ou qu’il y a eu rapport sexuel. Si j’ai avec elle des enfants, on peut en douter. On peut se dire en tout cas qu’à un certain moment elle a estimé que ça suffisait comme ça. Elle a déclenché le processus de séparation par l’enfant. L’enfant est le divorce in vivo des parents.
Philippe Muray, « 10 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 46.