semblable

Mais qu’attendre précisément du spectacle et du théâtre quand ils ne veulent plus tromper le public, ou le trahir, mais ne demandent qu’à se retrouver en phase avec lui, qu’à faire cause commune avec ses supposés désirs livides de fraternité, de solidarité, d’égalité, de parité et de transparence ? Qu’attendre, en somme, de son semblable ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à établir avec vous et lui la moindre querelle, et encore moins l’envenimer ? Qu’attendre de ce qui ne veut, ou ne peut, même plus être désiré ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à vous séduire ? Qu’attendre de ce qui vous ressemble tant que c’en est dégoûtant ?

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 653.

David Farreny, 2 fév. 2008
adhérence

J’aurais voulu de la compassion, de cette sorte que j’éprouve moi-même devant certains regards, par exemple, celui des vieillards trop faibles physiquement pour voir le monde au-delà de leur environnement domestique, des enfants à qui l’on cache certaines clefs de ce monde, des animaux qui s’orientent, le museau au ras du sol, et qui tous sont dans l’impossibilité de percevoir le sens d’une souffrance qui les accable. Leur être même se confond avec cette souffrance et les regards arrêtés qu’ils lèvent vers les hommes et les femmes avertis et responsables disent leur adhérence au malheur. Je crois sincèrement avoir eu cette crédulité quand je souffrais moi-même sans pouvoir donner d’autre explication que celles que la langue transporte sans plus aller puiser dans le tréfonds des sentiments personnels.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 181-182.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
disponible

Est-ce à cause de ce lien sensation/mémoire/écriture que l’on revient toujours aux mêmes expériences, accrues de quelques variations à chaque fois ? Ou bien à cause de l’infinie profondeur répétitive de telle sensation levée par un mot ? Je dis « lessive », et remontent de suite, mêlées autant que distinctes, les odeurs multiples de propre au sortir du lave-linge ou de la lessiveuse d’enfance. On écrit, ou un poème s’écrit, avec tout le corps, toute la mémoire disponible.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 61.

Cécile Carret, 4 mars 2010
choses

16. Choses que l’on méprise

Une maison dont la façade est au nord.

Une personne dont les gens connaissent la trop grande bonté.

Un vieillard trop âgé.

Une femme frivole.

Un mur de terre écroulé.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 52.

David Farreny, 11 mai 2010
grande

Mais ils sont partis, le soleil s’est couché rouge et énorme, et des milliers de chauve-souris sont sorties des sculptures et ont commencé à tournoyer dans le ciel où un gros volcan fumait à toute vapeur. Quelques cerfs-volants bougeaient dans le ciel. Je me suis assis sur un banc de bois d’une des gargotes qui garnissent l’entrée du temple. Des agneaux cherchaient de l’herbe entre les tables. Grande fatigue, grande paix, grand vide. J’ai senti à cet instant combien j’avais vieilli.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 123.

Cécile Carret, 28 juin 2012
étendue

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 242.

Guillaume Colnot, 28 fév. 2013
veille

Enfoui dans la nuit. Être enfoui tout entier dans la nuit, comme il arrive quelquefois qu’on enfouisse la tête pour réfléchir. Tout à l’entour, les hommes dorment. C’est une petite comédie qu’ils se donnent, une innocente illusion, de penser qu’ils dorment dans des maisons, dans des lits solides, sous des toits solides, étendus ou blottis sur des matelas, dans des draps, sous des couvertures ; en réalité, ils se sont retrouvés comme jadis, et comme plus tard, dans une contrée déserte, un camp en plein vent, un nombre d’hommes incommensurable, une armée, un peuple, sous le ciel froid, sur la terre froide ; chacun s’est jeté sur le sol là où il était, le front pressé sur le bras, le visage tourné vers la terre, respirant paisiblement. Et toi, tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvres le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles, près de toi. Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut quelqu’un.

Franz Kafka, « Nocturne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 569-570.

David Farreny, 7 août 2013
hauteur

Il y a un cerf en bronze au milieu de la forêt, au bout d’une allée qui se sépare en deux pour aller jusqu’au château. Le cerf est sur ses pattes, campé sur un socle de pierre qui ressemble à ceux des cimetières ou des hommages aux grands hommes. Il est vif, altier. Il est maître de lui ; il n’est pas pourchassé ou défait, ni sur ses gardes. Même capturé par la statue, il est libre. Il est au-dessus de la séparation des chemins si bien qu’on doit passer le long, sous sa hauteur.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 33.

Cécile Carret, 22 sept. 2013

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