pas

Je n’apprécie pas vraiment les gens. Et ceux que j’aime bien ne sont pas dignes de confiance. Je ne crois pas à la nature humaine, je ne lui voue pas une grande admiration. Je ne fais pas plus confiance à la société. La race humaine ne m’intéresse plus, je ne tiens pas à ce qu’on sauve le monde, je ne m’intéresse plus aux problèmes d’environnement, ça n’en vaut pas la peine. Les gens méritent de disparaître. Je serai content lorsque les tigres, les rhinocéros et les éléphants auront disparu, car ils ne pourront plus être persécutés. Tout ce que mérite la race humaine, c’est de partir en fumée.

Morrissey, propos recueillis par Christian Fevret, « Les Inrockuptibles », numéro 47, juillet 1993.

Guillaume Colnot, 16 sept. 2003
indécidabilité

Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.

Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.

David Farreny, 6 juin 2004
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
plaie

La lenteur est restée là cependant, la lente et terrible vie. Ils sont là, derrière les tilleuls tout au fond des cours, ceux qui sont partis chercher du grain et sont revenus sans paille. On ne les voit pas, ils se cachent de père en fils dans des blouses de pharmaciens, ils colligent des dossiers, des actes timbrés, la poussière les tient. Ils sont là, derrière les grappes de glycines, les poètes qui ne sont pas devenus poètes, les lions qui sont devenus chiens, les amoureuses qui ont vainement brûlé jusqu’à la vieillesse, et dont toutes les supériorités ont fait plaie dans l’âme au fur et à mesure que le froid de la province les saisissait, les gelait, doucement les broyait là — et leur laissait le temps, tout le temps d’y penser.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, pp. 24-25.

Élisabeth Mazeron, 1er juil. 2010
bonheur

Notre grade ne nous autorise pas à satisfaire à des demandes du genre de celles dont il s’agit dans ces cas-là, mais la présence de cette partie nocturne fait croître en quelque sorte nos pouvoirs officiels, nous promettons des choses qui ne sont pas de notre ressort, pis même, nous promettons de tenir nos promesses. La partie nous arrache, la nuit, comme le brigand au coin du bois, des sacrifices dont nous ne serions jamais capables à l’ordinaire : soit, il en va ainsi tant que le plaignant est là, tant que sa présence nous fortifie, nous contraint, nous excite ; que se passera-t-il quand il sera parti, repu, et inconscient, nous laissant seuls et sans défense en face de notre abus de pouvoir ? Je n’ose y penser. Et cependant nous sommes heureux. Ah ! que le bonheur peut ressembler au suicide !

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 763.

David Farreny, 24 oct. 2011
repas

– Je vais te nourrir au sein, mon enfant, dit l’ogresse à son nouveau-né. Une inquiétude passa sur le visage du bébé : ça ne ferait jamais que deux repas.

Éric Chevillard, « lundi 1er septembre », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
agression

Cioran raconte – peut-être l’ai-je rêvé – qu’un moine d’Égypte, après quinze ans de solitude complète, reçut de ses parents et de ses amis tout un paquet de lettres. Il ne les ouvrit pas, il les jeta au feu pour échapper à l’agression des souvenirs. Il convient de s’évader de sa propre histoire. Celui qui n’a brisé aucun lien est un esclave qui mérite d’être traité comme tel.

Roland Jaccard, « 24 mai 2020 », Le billet du vaurien. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024
mégalomane

Le mégalomane n’est si vindicatif qu’en raison de son incapacité à prendre en amitié son moi flétri par le temps, bousculé par le hasard, courtisé par la camarde. Ce mortel n’admet pas de puer le cadavre de son vivant. Pour s’embaumer et embaumer, il se tricote alors une légende d’homme incarnant « toute la vérité de la nature ». Et c’est en ce seyant équipage de momie qu’il en remontre aux vivants.

Frédéric Schiffter, « 26 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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