fatigue

Cette fatigue est loin de m’être particulière. Et c’est elle qui vous ôte de plus en plus toute envie d’échanger des idées avec quiconque. J’ai presque renoncé à écouter le contenu des paroles et me borne à écouter la manière dont elles sont énoncées.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
coudre

Cet inapaisable hurlement, des heures, des jours durant, que rien, qu’aucune menace, aucun pourparler n’arrêteront. Ce hurlement sans fin, ce hurlement spécial du vent par vagues et par reprises et damnés crescendos nous provoque, nous oblige nous-mêmes à hurler.

Si encore il y avait une raison, mais impossible d’en trouver une. Cette machine à nous coudre à des fous qui courent et qu’on ne voit pas est la plus haïssable qui soit.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 300.

David Farreny, 13 avr. 2002
pieux

Mémorial, un beau mot, pour une héraldique des souvenirs pieux : mais tous les souvenirs sont pieux, même les moins volontaires, et même les plus impies.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 18.

David Farreny, 14 avr. 2002
adéquation

Sans doute n’est-ce pas cela seul qui vous rend si heureux, cependant ; mais plutôt cette adéquation soudaine, presque violente et tellement inattendue, du rêve avec la marche, de l’insomnie passée avec le beau temps présent, du désir avec le silence, avec l’air, la vue, les ajoncs, les chemins blancs, la rivière. Surprise : me voici dans ma propre vie…

Renaud Camus, « samedi 13 février 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 45.

Élisabeth Mazeron, 8 août 2003
centre

À titre personnel, je préfère les personnages « entre deux âges » ; je ne me suis jamais intéressé — et ne m’intéresse toujours pas — aux riches, ni aux pauvres, ni aux hommes politiques, ni aux délinquants, ni aux artistes (mis à part le cas particulier de l’artiste raté, qui me paraît emblématique : on est tous un peu ratés, on est tous un peu artistes). En matière de description sociale, je suis définitivement classes moyennes ; mais ce concept social-démocrate n’a peut-être aucun sens en zone parfaitement libérale. Au milieu de l’aéroport de Houston, juste avant de m’envoler vers l’Europe, je prends clairement conscience qu’au-delà des différences dans la mise en œuvre de nos deux stratégies, on peut probablement y déceler un même objectif : viser en plein centre.

Michel Houellebecq, « Compte rendu de mission : viser en plein centre », Lanzarote, Flammarion, p. 69.

Élisabeth Mazeron, 4 mars 2008
vivrons

D’une des étroites façades, dans cette rangée de maisons anciennes mais nullement déchues. Pourquoi, juste au passage devant cette maison, ce coup de sentiments et le progrès d’une formule ?

Il pense : « Nous vivrons… » (Un visage maigre et creusé, fin, avec un léger tic des lèvres, chevelure qui blanchit aux tempes.) « Nous vivrons… »

Henri Thomas, Londres, 1955, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 7 août 2009
racheter

Tu te disais : ces choses banales et qui sont à n’importe qui, elles vont devenir moi. Ils verront, tous, ceux qui l’ignorent, à quel point je suis malin. Je passe pour intelligent, oui, mais toute intelligence est hypothétique. On ne sait pas où elle est, on ne l’a jamais sous les yeux. Avec le livre, elle deviendra visible, indubitable. Ce sera l’intelligence absolue, celle qu’on peut toucher, celle pour laquelle on fait un chèque au libraire. Le problème, bien sûr, c’est qu’à vouloir paraître malin, on l’est moins. Or toute la ruse est là : je ne serai pas mon livre. Il se sera produit malgré moi, je me serai montré intelligent sans le faire exprès. L’auteur d’un livre est innocent de son propre génie. Voilà ce à quoi il faut parvenir : être justifié par le livre, et en même temps rester au-dessus de ça. Aussi tu t’évertuais devant ton écran à être et à n’être pas ton livre, à l’écrire sans l’écrire. Avec cette technique, il n’avançait pas beaucoup.

Tu en avais pourtant besoin. Ces longues stations à ton clavier t’évitaient de devoir admettre que tu n’étais que toi. Tu n’imaginais pas qu’on puisse ne pas vivre un pied dans l’éternité, dans ce monde comme si on n’était pas déjà, en partie, hors du monde. Aussi demeurais-tu incapable de comprendre les réactions et les motivations de tous ceux qui ne pouvaient pas, au prix de ces heures à frapper sur des touches, se racheter de leur vie.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 244-245.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
travaille

Car c’est là l’essentiel, Rossmann : ne pas déranger Brunelda. Elle entend tout, c’est sans doute le chant qui lui a ainsi aiguisé les oreilles. Tu es, par exemple, en train de rouler le baril d’eau-de-vie qui est derrière les armoires pour le sortir de l’appartement, et, naturellement, tu fais un peu de bruit d’abord parce qu’il est lourd et ensuite parce qu’il y a là toutes sortes de choses qui t’empêchent de le rouler d’un seul coup jusqu’à la porte ; pendant ce temps, disons que Brunelda est couchée sur le canapé et qu’elle travaille à attraper des mouches, car les mouches la gênent affreusement ; tu te figures donc qu’elle ne s’inquiète pas de toi, et tu continues à rouler ton tonneau, elle reste couchée tranquillement ; mais au moment où tu ne t’y attends plus, et où tu fais le moins de bruit, elle s’assied tout d’un coup et frappe le canapé jusqu’à ce qu’on ne se voie plus à force de poussière, — je n’ai pas battu le canapé depuis que nous sommes ici, je ne peux pas puisqu’elle est toujours couchée dessus —, et la voilà qui se met à pousser des cris horribles, des cris d’homme des heures durant. Les voisins lui ont bien défendu de chanter, mais personne ne saurait l’empêcher de crier, il faut qu’elle crie ; d’ailleurs maintenant, c’est devenu moins fréquent car, avec Delamarche, nous nous surveillons sévèrement. Et puis, ces hurlements lui faisaient beaucoup de mal. Une fois, elle s’est évanouie et, comme Delamarche était justement là, j’ai dû appeler l’étudiant d’à côté qui l’a arrosée avec le liquide d’une grande bouteille ; il a parfaitement réussi, mais cette drogue avait une odeur insupportable qu’on sent encore en tournant le nez vers le canapé. Cet étudiant est certainement notre ennemi, comme tout le monde dans la maison ; aussi fais-y bien attention et ne te laisse aller à parler à personne.

— Mais, voyons, Robinson, dit Karl, voilà un service bien pénible ! Le joli poste pour lequel tu m’as recommandé là !

Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 197-198.

David Farreny, 17 mars 2011
solitude

La solitude enseigne à être intellectuellement plus honnête, mais elle incite à être intellectuellement moins courtois.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 11.

David Farreny, 29 fév. 2024
phrase

Tant que la phrase n’est pas écrite, tout reste à vivre.

Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 8 mars 2024

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