C’est que nous nous ressemblons un peu tous, mais jamais dans les mêmes circonstances.
Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 10.
Aller jusqu’au fond du gouffre de l’absence d’amour. Cultiver la haine de soi. Haine de soi, mépris des autres. Haine des autres, mépris de soi. Tout mélanger. Faire la synthèse. Dans le tumulte de la vie, être toujours perdant. L’univers comme une discothèque. Accumuler des frustrations en grand nombre. Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre.
Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 14.
Il n’y a que l’embarras du choix, pour le monde quitté.
Renaud Camus, Le département de l’Hérault, P.O.L., p. 77.
Jamais vache n’a bu la couleur du sang frais. Mais a toujours su quel genre d’arbre c’était. Un châtaignier par exemple.
La mémoire des vaches n’a pas de profondeur. Elle est plate et douce et répétitive comme un très vieux chant. Elle contient des choses inoubliables et semblables à jamais.
Une vache a facilement le mal d’un pays qui n’existe pas. Elle fait un doux repas dans les fougères mais la nuit est immense.
Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., pp. 20-21.
Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.
Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.
Pourquoi se corriger, se repentir ? La nature s’en charge.
Paul Morand, « 25 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 408.
Dans les mêmes villes à travers les années nous avons marché, la nuit, avec tant de compagnons différents : le soupçon nous en vient qu’il n’est d’autre permanence à espérer qu’en nous-mêmes ; de quelle précaire qualité n’est dès lors que trop évident.
Renaud Camus, « dimanche 21 septembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 416.
qui liera en fagots les traits de l’averse afin de pourvoir en eau les terres arides ?
[…]
qui fera pousser une brosse au bout de la queue de l’âne vainement agitée – et le meunier regagnant sa demeure n’aura plus de farine sur son paletot ?
[…]
qui, mais qui va permettre à la bûche de retourner une deuxième fois au feu et grâce à qui le verre sera-t-il une peau sensible ?
[…]
quel architecte inspiré dirigera la coulée de lave avec tant de maestria qu’elle formera en se solidifiant une cité radieuse ?
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, pp. 56-57.
Voici un cerisier sur leur chemin et ses mille têtes réduites d’apoplectiques suspendues aux branches par leur dernier cheveu, le sang presque noir déjà affleurant et comme pulsant sous le fin tégument de leur peau tendue, luisante, et qui semblent appeler la dent du carnassier plus que le bec du sansonnet.
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 70.
Lorsqu’il se servait de sa raison, on eût dit un droitier contraint d’utiliser sa main gauche.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 129.
Exerce avec retenue ton sens de l’analogie ou tu pourrais bien découvrir qu’il n’existe qu’une pauvre chose grise et flasque d’un bord à l’autre du monde.
Éric Chevillard, « vendredi 2 septembre 2022 », L’autofictif. 🔗