pataugent

Ils prient et bientôt roulent à terre possédés par la déesse Kali ou quelque autre. Ces fidèles sont des gens de bonne volonté à qui l’on a appris telle ou telle pratique et qui, comme la plupart des gens occupés de religion, arrivés à un certain niveau, pataugent et jamais ne vont au-delà.

Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 291.

David Farreny, 22 mars 2002
pencher

Nous sommes juste au-dessus des Fenestrelles. Mieux vaut bien sûr ne pas trop se pencher. Pericoloso sporgersi. Curieux que personne n’ait dit cela en mourant.

Renaud Camus, Le département de l’Hérault, P.O.L., p. 232.

David Farreny, 2 mars 2006
attention

La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.

David Farreny, 26 déc. 2006
duperie

Une jeune femme s’était assise en face de lui à la dernière gare ; à genoux sur elle, son enfant lui avait pris délicatement les joues entre ses petits doigts et les tirait en riant. C’est alors que la duperie avait été commise : lorsque sa mère lui avait fait croire (comme cette mère le faisait croire en cet instant à son enfant) que la vie coulait à sa portée, qu’elle était bonne, mais qu’on pouvait attendre, qu’il serait toujours temps de la saisir. Chacun de ses regards caressants le confirmait : quelque chose viendrait, qui serait enfin « la vie » ; mais lorsqu’on se retrouvait un jour sans le soutien de ces genoux familiers, il n’y avait plus rien, que le pur passage du temps, qu’une attente étale, décolorée, marquée des seuls signes de son écoulement ; un lent retour au rien. La chose lumineuse et pleine dont sa vérité aurait eu besoin pour se reconnaître et s’accomplir n’avait pas eu lieu. Et en fin de compte il avait eu sa part : l’amour d’une femme, des enfants, un travail qui ne l’ennuyait pas.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 168.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
chatoiement

Le jardin attenant est désert. Quelques Bâlois sont allongés au soleil, au bord de l’eau, en maillot de bain. Et je pense, suivant un moment le quai, à quelqu’un qui sans doute est en train de marcher pareillement le long d’un fleuve, dans Espalion, Villeneuve-sur-Lot ou Castres ; à toutes ces villes assoupies, tranquilles, de part et d’autre de leurs ponts, le long de leurs paisibles rivières ; à la province le dimanche ; à la profondeur effrayante de l’ordinaire ; au chatoiement sans limites du quotidien ; à l’excitant vertige de l’inexceptionnel (souvenirs de jours de juillet écrasés de chaleur, à Clermont-Ferrand, sur les boulevards extérieurs, boulevard Lavoisier, boulevard Duclaux, boulevard Cotte-Blatin, c. 1962, quand toujours un camarade de classe qu’on aimait est parti pour les vacances et que tout paraît si terriblement normal, ordinaire, éternel, sans limites, à la façon des énormes étés d’alors, dont on ne voyait pas l’autre rive ; et le boulevard Duclaux tournait autour de Reggio d’Émilie, de Badajoz, de Vesoul, de villes plus ordinaires encore, dont on ne connaissait même pas les noms…).

Renaud Camus, « dimanche 20 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 590.

David Farreny, 28 sept. 2007
figurants

Je reste seul, roi de carton de ce peuple aux hanches étroites, drapées serré dans leur sarong, qui parcourt mes rues à petits pas comptés, d’énormes fruits cuirassés en équilibre sur la tête. Anciens figurants ? machinistes ? La grève doit durer depuis si longtemps qu’on en a perdu la mémoire. Mon balcon s’égoutte ; je rêve. C’est juste un peu d’Europe et de jeunesse qui passent.

Ne compter en tout cas plus sur moi pour vous fournir un scénario. Tout ce qu’on introduit dans ce décor s’y dégrade à une allure alarmante. Une fermentation continuelle décompose les formes pour en fabriquer d’autres encore plus fugaces et compliquées, et les idées connaissent forcément le même sort. Comment tenir son cap à travers ces métamorphoses ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 99.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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